Au XVIIe siècle, le libertinage est un courant philosophique qui met en question et les limites de la raison et les dogmatismes religieux ; il récuse les systèmes métaphysiques et les superstitions, révèle la diversité des croyances et des opinions, sapant ainsi les principes de la morale traditionnelle. Au siècle suivant, le mot se spécialise : il renvoie surtout à des mœurs dissolues, à la transgression des règles morales ; le libertinage s'allie à l'érotisme comme à la jouissance égoïste, à la volonté de puissance comme à la peinture d'une société essoufflée qui cherche dans le plaisir une fin en soi.
Ce seront là les thèmes privilégiés pour tout un courant romanesque qui en exploitera les ressources et les raffinements. De Crébillon fils, initiateur du genre, à Vivant Denon, en passant par Duclos, Dorat, Nerciat, Voisenon, La Morlière, Godard d'Aucour, Chevrier, Fougeret de Monbron et la scandaleuse Thérèse philosophe attribuée à Boyer d'Argens, on lira ici l'essentiel de la production libertine du siècle des Lumières. La liberté de pensée et d'imagination de ces auteurs n'a d'égale que l'absolue maîtrise d'une langue scintillante d'intelligence, de beauté et de désir.
Raymond Trousson Professeur à l'université libre de Bruxelles.