Premier paradoxe : la mélancolie, telle que l'Occident l'a conçue, est à la fois redoutable et féconde, folle et géniale, inhibitrice et généreuse. Cette ambivalence, qui la distingue de la simple tristesse comme de nos actuelles dépressions, lui confère un statut très particulier. Maladie peut-être, mais maladie culturelle, elle nourrit la créativité ; elle est " le seul sentiment qui pense ".
Second paradoxe : si diversement qu'elle se manifeste, et si différentes que paraissent les théories médicales, théologiques ou philosophiques qui tentent d'en rendre compte, il y a une unité et une permanence de la mélancolie. Obstinément, sa longue histoire rappelle que l'homme n'est homme qu'en vertu d'une altération qui le travaille au plus intime.
Aussi la présente anthologie commence-t-elle par donner la parole à de grands plaintifs : dans une première section, c'est la mélancolie qui parle, par la voix d'auteurs aussi différents que Sappho et Michel-Ange, Pétrarque et Shakespeare, Chateaubriand et Dostoïevski, Baudelaire et Sartre. La deuxième section met en place, dans une perspective cette fois théorique, les principaux modèles suivant lesquels la mélancolie a été pensée dans notre histoire : il s'agit de dégager, depuis le modèle humoral antique jusqu'au texte fondateur de Freud, les articulations majeures et les ruptures significatives. La dernière section, où sont passés en revue quelques grands thèmes (d'" Acédie " à " Vanité "), se place comme les précédentes sous l'invocation de Rilke : " Un monde naquit de la plainte, un monde où tout fut recréé. "