La poésie latine chrétienne apparaît avec un retard de deux siècles par rapport à la prose de même inspiration. Mais trente ou quarante ans avant le IVe siècle où elle s'épanouit, un poète joue les francs-tireurs : l'énigmatique Commodien, dont la situation dans l’espace et dans le temps a suscité des débats passionnés. Mais l’œuvre, encore largement méconnue (la dernière édition française des Instructions date de 1912), est tout aussi digne d’intérêt que l’homme. Les quatre-vingts poèmes en acrostiches des Instructions, regroupés en deux livres dont le premier est tourné contre les païens et les juifs et comporte un finale eschatologique, dont le second vitupère les manquements des chrétiens eux-mêmes, méritent d’être lus et étudiés pour quatre raisons :
- ils sont les témoins de la vie et des préoccupations d’une communauté chrétienne de la seconde moitié du IIIe siècle, du traumatisme des persécutions, de la vigueur persistante d’un paganisme dominant et de l’activité prosélytique soutenue du judaïsme. Hormis ceux de Cyprien de Carthage, les textes qui jettent un éclairage sur cette période dramatique ne sont pas légion ;
- Commodien professe une théologie archaïque, décrit la fin des temps, qui pour lui a déjà commencé, sous des couleurs et selon des schémas qui sont bien loin de ceux que fixera l’orthodoxie un demi-siècle plus tard ;
- archaïques sont également les textes bibliques qu’il utilise, témoignage précieux des « Vieilles latines » qui précèdent d’un siècle les révisions de saint Jérôme ;
- enfin, Commodien a révolutionné les règles du vers latin traditionnel : la poésie médiévale est annoncée. De même, tout historien de la langue latine comme des langues romanes doit prendre en compte la langue qu’il pratique, sa phonétique, sa morphologie, sa syntaxe, une langue grevée de tours familiers, voire de vulgarismes annonciateurs de « parlers nouveaux ».
On ne sait quasiment rien de Commodien. Certains le pensent originaire d’Arles, d’autres de la partie orientale de l’Empire romain (Gaza). Né païen, il aurait été converti au christianisme par la lecture de la Bible. Il est l’auteur, en dehors des Instructions, d’un autre poème, le Chant apologétique(Carmen apologeticum).
Jean-Michel Poinsotte est né en 1937. Agrégé de lettres classiques, il a effectué sa carrière universitaire à l’université de Rouen (1965-2000), dont il a dirigé pendant dix ans le département de lettres classiques. Auteur d’une thèse sur Commodien, ses travaux portent sur la poésie latine tardive (païenne et chrétienne) et sur la représentation qui y est donnée des juifs et du judaïsme, du IIIe au Ve siècle.