À la fin du IIe siècle après J.-C., la figure d'Orphée subit une étonnante métamorphose : le chantre des dieux grecs devient une préfiguration du Christ. Le motif d'un tel rapprochement n'est pas la descente aux Enfers, tant exaltée au Moyen Âge et à la Renaissance. De manière plus inattendue, il s'agit du chant, ce chant qui, d'après la légende, charme animaux sauvages, arbres et pierres. Loin de lui prêter uniquement le rôle de repoussoir, séducteur des seuls « chênes et rochers » et instigateur de cultes impies, Clément voit en lui un fascinant précurseur : le chant est symbole de la Parole efficace. Le Christ, qui incarne cette Parole, est alors dépeint non seulement comme le chanteur, mais comme le chant d'ordre supérieur qui achève le miracle : il régénère les bêtes les plus sauvages, les hommes, et leur accorde jusqu'à l'éternité. Dispensatrice du salut, vrai Mystère et authentique révélatrice de Dieu, la Parole sublime le chant d'Orphée dont elle découvre a posteriori les trois vertus : être source de métamorphoses, être fondatrice des mystères et annonciatrice du Dieu unique. C'est ainsi qu'elle le désigne comme son insigne préfiguration.
Le Protreptique est l'ouvrage unique où s'opère pleinement cette mutation. Dans son exhortation aux Grecs à embrasser la religion nouvelle. Clément recourt aux images familières à ses destinataires, les passe au crible de sa critique et les christianise pour transmettre insensiblement les principes de sa foi. L'appropriation chrétienne du chantre païen est inséparable de ce projet. Le premier volume d'Orphée et les Chrétiens analyse le contexte polémique de son apparition et examine les processus rhétoriques, les thèmes et motifs littéraires, philosophiques et théologiques mis en œuvre pour la réaliser.