Que faut-il comprendre du monde qui nous entoure et quelles orientations faut-il concrètement donner à notre existence pour parvenir à être heureux puisque c’est là le souverain bien ? C’est la question centrale des deux nouvelles écoles philosophiques qui vont émerger au début de la période dite « hellénistique », vers les années 300 avant notre ère : l’épicurisme et le stoïcisme. L’antériorité va à l’épicurisme, mouvement qui prend son nom de son charismatique fondateur Epicure (341-270) qui, après avoir fait naître une première école philosophique à Lampsaque, se rend à Athènes en 306 et y fonde ce qui deviendra la célèbre école du Jardin. Les valeurs qui animent l’épicurisme voyagent de Lampsaque à Athènes, au cœur du Jardin où Epicure œuvrera jusqu’à sa mort à faire vivre cette communauté soudée autour du bien le plus précieux qu’est l’amitié qui n’existe sous sa forme la plus achevée que par la pratique commune de la philosophie. C’est cette dernière en effet qui oriente notre cheminement vers la vie heureuse, qui nous guérit de nos maux ou nous permet de les surmonter, ce qu’Epicure traduit dans son tétrapharmakos, son quadruple remède dont les prescriptions bien comprises et bien appliquées amènent en nous la sobriété et la tranquillité qui président à la vie heureuse. Il faut déjà travailler à s’affranchir de nos fausses représentations des dieux et de la mort ; puis, au-delà de ces deux premiers préceptes visant à éliminer nos deux craintes fondamentales, l’esprit libéré pourra comprendre dans quelle mesure « le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse » d’une part, la douleur et la souffrance peuvent être combattues et surmontées d’autre part. Telle est la formulation synthétique du tétrapharmakos mais restent à analyser toutes les décisions philosophiques dont il procède et qui ont valu à Epicure et à ses continuateurs de vives critiques souvent assorties de déformations grossières de leurs thèses qui se traduisent encore dans la signification biaisée que le sens commun attribue à l’adjectif « épicurien ». Dans quel esprit se déploie vraiment la sagesse épicurienne, qu’est-ce qui préside à ce mot d’ordre de sobriété réfléchie qui la caractérise et qu’est-ce que cela remet à sa place des mirages de la comédie humaine, c’est ce que l’on a souhaité explorer dans cette présentation « pas à pas » de la philosophie du Jardin.
Jean-Marc Bryard est professeur agrégé de philosophie, il enseigne au lycée international Charles de Gaule à Dijon. Il est également chargé de cours à l’université de Bourgogne depuis 2015 et auteur de l’ouvrage Les Stoïciens aux éditions Ellipses, collection « Pas à pas », publié en octobre 2022.