Que se passe-t-il quand de l'eau et du vin se mélangent ? Comment les quatre éléments simples du monde physique se mêlent-ils les uns aux autres pour former les choses qui nous entourent ? La multitude des couleurs vient-elle aussi d'un mélange de couleurs simples ? Deux corps mélangés sont-ils simplement juxtaposés à une échelle microscopique ou bien peuvent-ils se compénétrer de sorte qu'il y aurait deux corps dans le même lieu ? L’union de l’âme et du corps est-elle un mélange ?
Telles sont quelques-unes des questions étonnamment diverses que croise cette histoire du problème du mélange dans la philosophie grecque.
Le récit proposé ici suit trois lignes principales : la tradition péripatéticienne, qui, d’Aristote à son commentateur Alexandre d’Aphrodise, élabore un modèle de mélange par médiation où les ingrédients de départ s’assimilent réciproquement pour s’unifier en un composé qualitativement intermédiaire ; la doctrine stoïcienne de la « mixtion de part en part », où les ingrédients se compénètrent jusqu’à devenir parfaitement coextensifs ; le néoplatonisme et les transpositions qu’il opère à partir des modèles physiques précédents pour penser non seulement des relations entre corps mais aussi celle entre l’âme et le corps ou bien entre les réalités incorporelles ou immatérielles de l’arrière-monde suprasensible.
Fondée sur un vaste corpus de textes couvrant près d’un millénaire d’histoire de la philosophie grecque, cette étude se veut aussi une proposition de méthode : donner à lire les textes eux-mêmes et rester au plus près de l’analyse des sources pour suivre parmi l’étonnant foisonnement des doctrines les développements aussi divers qu’inattendus que la raison humaine, dans sa luxuriante imagination théorique, sait donner à la même idée, fût-elle aussi courante et intuitive que celle de « mélange ».