Franchissant les Colonnes d'Hercule, Ulysse et ses compagnons s’aventurent vers l’inconnu, sur l’Océan, en quête de l’expérience inouïe du « monde sans habitants ». Leur navire emporté par un tourbillon, ils disparaissent corps et biens.
Prenant appui sur le récit de Dante, au Chant XXVI de L’Enfer, l’essai avance un questionnement dans plusieurs directions.
À côté d’une problématique de la mémoire et de la transmission, le destin d’Ulysse conduit à interroger l’entreprise même d’explorer le monde, avec les interdits qu’elle ne cesse à la fois de braver et de susciter, mobilisée de l’intérieur par des pulsions qui n’accèdent pas toujours à la lumière, mais aussi de l’extérieur par la présence insistante de recoins inaccessibles dans un monde de moins en moins hospitalier.
En retravaillant, avec Blumenberg, le thème de la non-fiabilité du monde, la voie est ouverte à un approfondissement qui dirige l’interrogation vers quelques métaphores décisives, en particulier celles qui relèvent de la navigation et du naufrage. En un champ à la fois métaphysique, historique et éthique, parfois théologique, on tente au fond de dégager les réquisits premiers de toute découverte du monde et d’esquisser ce qu’en termes phénoménologiques on pourrait appeler une archéologie de l’exploration du monde. Bref, on décrit la figure singulière, historique et concrète, que prend dans l’espace terrestre le partage du connu et de l’inconnu, ce partage même qui oppose le « monde habité » et le « monde sans habitants », et que déstabilise radicalement, au début des Temps modernes, l'irrésistible fièvre qu'a l'homme de connaître son monde.