Une lecture des Cahiers noirs de Heidegger, incriminés dès avant leur parution sur la base d'extraits savamment distillés, permet d'établir que leur rapport avec l'antisémitisme sous quelque forme que ce soit n'est pas de connivence mais d'incompatibilité. Ce qui invite à interroger la relation profonde et énigmatique autant qu'ambiguë entre la pensée de Heidegger et l'esprit du judaïsme, en leur mutuel éclairage. C'est à la lumière de la distinction essentielle entre le nom et le nombre qu'est menée la présente investigation, en mettant en évidence l'occultation croissante du nom par le nombre au cours de la pensée occidentale, à laquelle ne peut dès lors qu'échapper l'incalculable. Fuite de la pensée comptable ou calculante devant la pensée méditante ? Il s'agit d'interroger la constitution de la rationalité occidentale à l'âge classique comme computatio ou calcul visant en sa sommation à tout faire entrer en ligne de compte, y compris l'être humain – autrement dit les ressorts de notre époque et de notre monde. Comme de faire droit au pouvoir d'interpellation de la pensée de Heidegger lorsqu'elle se demande et nous demande si le vacarme des machines ne couvrirait pas aujourd'hui la voix de Dieu. Professeur de philosophie à l'université de Bretagne Occidentale, Pascal David est interprète et traducteur de Heidegger dont il a traduit plusieurs ouvrages, notamment la Correspondance avec Hannah Arendt.