Eugène Atget (1857-1927) a laissé plus de 8 000 clichés mais aucun témoignage sur sa formation de photographe, ses influences, ses idées sur sa pratique ni sur lui-même de manière générale. Il est mort quasi inconnu alors que diverses institutions parisiennes avaient de son vivant acquis quelque 17 000 de ses photographies : elles reposaient dans les réserves de la Bibliothèque nationale, du musée Carnavalet ou de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris mais classées anonymement par thèmes. Apparemment rattaché à la tradition photographique du XIXe siècle, il n'en eut pas moins une influence considérable, et parfois faussée, sur la photographie documentaire du XXe, aussi bien « française » (Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Willy Ronis, Izis) qu’américaine (Walker Evans, Berenice Abbott, Robert Frank, Lee Friedlander). Reconnaissables au premier coup d’oeil, ses photographies posent problème dès que l’on s’aventure à aller plus avant dans leur analyse.
Cet ouvrage est le premier à aborder Eugène Atget sous ses multiples aspects : biographiques à travers les quelques éléments qui nous sont connus, historiques par la réception de son travail dans les décennies ayant suivi sa mort et la renaissance de son œuvre aux États-Unis dans les années 1970, esthétiques pour les multiples questions que sa manière si discrète pose au genre documentaire.
Cette discrétion caractérise non seulement la personne d’Atget mais toute sa démarche photographique aussi bien par la modestie apparente de ses sujets que par son effacement volontaire et constant dans sa manière de les saisir.
Atget ou le mystère, et le défi, d’une photographie sans effets parvenant à ne jamais être banale.
Jacques Bonnet a, entre autres, publié une monographie sur Lorenzo Lotto (Adam Biro, 1997), Femmes au bain. Du voyeurisme dans la peinture occidentale (Hazan, 2006) et Comment regarder Degas (Hazan, 2012).