Imaginez, en ce début du vingtième siècle, au coeur d'une île à ce moment soumise à la France, un jeune homme de couleur qui découvre en lui le don de l'expression, associé à l'amour des Lettres et de la langue française ! Conscient de son génie, Jean-Joseph Rabearivelo, né en 1903, travaille ainsi à devenir le premier " intellectuel " de sa nation. Poète, journaliste et critique, romancier et dramaturge, historien et traducteur, il s'efforcera de maintenir l'équilibre entre l'apport natal et l'essor que lui permet un médium étranger prestigieux.
Lui qui se dit " fils des Rois d'une époque abolie ", mais vit durement son statut de bâtard, il sera l'éclat et l'illustration de sa " race ". Cela passe par la maîtrise de la langue du conquérant et par l'excellence qu'il saura montrer dans le champ littéraire d'une des plus anciennes civilisations d'Europe. Néanmoins, il n'oublie pas et n'oubliera jamais la langue et la civilisation malgaches. Sa perspective intellectuelle, littéraire, esthétique et critique, est toute tracée, et son voeu le plus cher est de mettre en contact, de faire passer l'une dans l'autre les deux cultures qui sont les siennes : l'européenne (la française plus particulièrement) et la malgache.
Son étonnante créativité ne se contente pas d'exploiter les modèles en vigueur, et la maîtrise de la langue française ne signifie pas soumission intellectuelle et morale au conquérant. Cette langue venue d'ailleurs, imposée d'abord par la force des armes mais passionnément aimée, peut devenir, au point de passage des langues, un outil d'ouverture au monde et à l'universalité de la littérature en tant qu'expression de la dignité humaine.
Ce second tome de ses oeuvres complètes comprend d'abord l'oeuvre essentiel, c'est-à-dire l'oeuvre de création - la poésie, les récits, les pièces de théâtre -, puis l'oeuvre de l'éminent passeur de cultures et de civilisations qu'il fut durant toute sa fulgurante carrière - les traductions de poèmes malgaches traditionnels et contemporains vers le français -, et enfin la contribution de l'intellectuel engagé et créateur à la fois - les articles critiques et les essais d'histoire.
Léopold Sédar Senghor voyait en lui le " Prince des poètes malgaches ". Jean-Joseph Rabearivelo (1903-1937) entre en littérature comme on tombe amoureux. Imaginez, au début du XXe siècle, au cour d'une île en ce temps soumise à la France coloniale, un jeune homme de couleur qui découvre en lui le don de l'expression, associé à l'amour des Lettres et de la langue française. Il ouvre dès lors à se faire - en deux langues et avec quel talent ! - poète, journaliste et critique, dramaturge et romancier, historien de sa tradition et traducteur de textes anciens comme de textes modernes. Rien n'échappe à son emprise créatrice.