Il est difficile d'imaginer aujourd'hui la vogue dont jouirent pendant plusieurs siècles les Epigrammes de John Owen (1564-1622), qui en leur temps firent saluer leur auteur comme le « Martial anglais », le « second Martial », « Martial ressuscité ». Plus exclusivement intellectuel que son modèle latin, Owen n’eut jamais sa richesse de dons, ni son puissant réalisme, ni inversement sa grâce et sa tendresse, ni ses raffinements d’artiste. Mais dans le domaine volontairement restreint de la satire morale et dans le cadre étroit du distique, son instrument privilégié, il porte l’épigramme à un point d’achèvement qui ne devait plus être égalé : jamais l’épigramme n’a été aussi proche de la maxime au sens que lui donnera bientôt notre La Rochefoucauld et avec laquelle elle partage le brillant et l’étincelante netteté.
Le propos est exclusivement celui d’un moraliste. Observateur fin et spirituel du train du monde, Owen livre son expérience en une multitude de traits caustiques qui fusent dans toutes les directions : égratignant les caractères et les âges, insistant sur les travers de quelques professions et conditions (juristes, médecins, théologiens, courtisans) ; quelques traits acérés contre le sexe faible et les inconvénients du mariage pourraient le faire soupçonner de misogynie si le sujet était original. En tout cela, nulle illusion, mais nulle méchanceté ; pas d’attaque personnelle, seulement les défauts universels de la nature humaine ; quelques remarques sont plus directement inspirées par des sujets d’actualité : loyal sujet anglais à l’époque du complot de la poudre à fusil, Owen décoche quelques pointes à l’adresse de l’église catholique, il intervient malicieusement à propos de la querelle du vide. Une sagesse ironique se dégage, qui fait comprendre aisément l’influence qu’il exerça sur l’âge classique, habitué à privilégier l’analyse morale..
Le premier volume des épigrammes, dédié à Lady Neville, a paru en 1606 ; encouragé par son succès immédiat, Owen publia l’année suivante un second volume, dédié à une Stuart ; les troisième et quatrième volumes parurent en 1612 et 1613 : en tout, dix livres d’épigrammes dont l’édition d’ensemble sera publiée en 1622, l’année même de sa mort. Une editio locupletior et emendatior a été publiée à Paris en 1794 par Antoine Augustin Renouard.
Premier à ouvrir notre collection à l’humanisme du Nord, Sylvain Durand nous offre dans ce volume le texte et la première traduction française intégrale de cette œuvre. Exécutée avec une parfaite exactitude, une aisance et un plaisir évident et même quelque gourmandise, cette traduction nous est offerte dans une prose serrée, quand elle n’accueille pas la coquetterie d’une traduction rythmée. L’édition bilingue est, comme dans tous les volumes de la collection, précédée d’une introduction, cinq grandes parties progressant de la biographie et du contexte historique et culturel à l’œuvre elle-même, analysée ensuite dans son aspect formel (le travail sur la matière des mots, feu d’artifice et fête étourdissante du langage) et dans les liens qu’elle entretient avec l’actualité et la société de son temps, enfin et plus profondément, avec les options intellectuelles et spirituelles de son auteur.