Ce volume rassemble les compositions poétiques de jeunesse attribuées à celui que les Chinois considèrent depuis le XIIe siècle comme leur plus grand poète, Du Fu (712-770). Il rassemble les poèmes composés avant l'éclatement, en 755, de la guerre civile qui opposa le gouvernement impérial des Tang au général rebelle An Lushan, et mit fin à l’âge d’or du début du VIIIe siècle. La traduction de ces 93 pièces, accompagnée d’un appareil critique aussi lumineux que possible pour un lecteur occidental, est en grande partie inédite.
Leur lecture donne à voir comment une voix singulière incarne mieux que tous les poètes de Cour réunis le déchirement entre l’ambition de servir et le refus de l’aliénation.
Il y a chez Du Fu, dès son plus jeune âge, une maîtrise prodigieuse de l’héritage de ses prédécesseurs et une profonde innovation poétique ; mais ce corps de références, même s’il est indispensable au lecteur moderne pour saisir la profusion des allusions et entendre l’écho de voix plus anciennes que la sienne, ne suffit pas à expliquer la puissance de son art poétique.
Au fil des poèmes, on voit Du Fu forger des expressions et des images que nul avant lui n’avait su ou osé figurer. Comme tout poète, il sait exploiter les ressources de la langue et tordre la syntaxe pour figer l’instantanéité de sa vision ; il innove en multipliant les croisements de sens, les contrastes des sentiments et les ruptures de rythme et de tonalité. Même dans les textes les plus innocents, les vers de circonstance, les compliments obligés, il mobilise avec une économie de moyens et des raccourcis souvent saisissants, une verve exceptionnelle. Le tout au service d’un seul message, constamment répété mais jamais épuisé : le lettré ne doit pas se compromettre pareil à « l’aigle sur le gantelet [qui] s’envolera dès qu’il sera repu ».