Chacun a certains vers gravés dans la mémoire: "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage'; "Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose'; "Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle'; "Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille'; "Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change'; "Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal'. Tous ces vers, signés du Bellay, Ronsard, Baudelaire, Mallarmé, Heredia, ont en commun d'être les premiers d'un ensemble de quatorze qui constituent un sonnet. Depuis le XIVe siècle, ce poème à forme fixe – deux quatrains suivis de deux tercets – représente un modèle abouti d'écriture dans la poésie européenne.
Après une éclipse à la fin du XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, le sonnet retrouve, dans la première moitié du XIXe, la faveur de poètes comme Gérard de Nerval et Charles Baudelaire. La seconde moitié du XIXe siècle verra son grand retour. Il constitue le mode exclusif d'expression pour José Maria de Heredia et un mode privilégié pour Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud. On trouvera dans cette anthologie leurs principaux sonnets : ce sont d'inaltérables chefs-d'œuvre.
Malgré l'apparition du vers libre et l'abandon progressif des contraintes formelles dans l'écriture poétique en général, le sonnet va perdurer chez les poètes modernes. Il restera un des seuls, sinon le seul genre de poèmes à forme fixe à garder la faveur d'un Apollinaire, d'un Valéry, d'un Aragon, d'un Guillevic, d'un Pierre Emmanuel, d'un Georges Perros.
Il sera même, pour Jean Cassou, le moyen mnémotechnique de concevoir mentalement, dans la prison où l'avaient jeté les nazis, ses fameux trente-trois sonnets composés au secret. Écoutons ces musiques de mots restées si belles, si fraîches, si pures aussi. Par leur perfection formelle, elles sont proches d'un bonheur de lecture absolu.