Le " Livre des chants " (1827) fit de Heine, à l'égal de Gœthe et de Hölderlin, le poète allemand par excellence. Il contenait des vers si proches de la sensibilité populaire que d'innombrables fois mis en musique, repris dans toutes les anthologies, ils pouvaient comme la " Lorelei " être sur toutes les lèvres. Nourri du souvenir d'anciennes ballades, d'amours malheureuses, des effluves de la nuit dans le Harz et des vagues de la mer du Nord, ce recueil n'est pourtant qu'en apparence une ultime manifestation du romantisme. Le monde qu'il évoque est parcouru de déchirements. D'impitoyables réveils coupent les rêves. Les chants et les amours s'éteignent, cédant la place à de nouvelles utopies. Le preux chevalier est fils du rabbin de Saragosse, et l'imagerie nostalgique semble être sur le point de s'épuiser, comme pour laisser bientôt entendre la rumeur des fabriques, des guerres, des foules. S'inscrivant en faux contre les ambitions hymniques et les postures ésotériques, Heine privilégie la face lumineuse de la langue allemande dont la qualité poétique et musicale tiendrait à sa nature diaphane, à son aspiration paradoxale à la transparence. Il n'existait pas de traduction complète en vers de ce livre aussi léger qu'insondable, situé à la charnière de plusieurs mondes, de ce livre qui offre un accès essentiel au lyrisme allemand, et dont le public français n'a plus, depuis un siècle, engagé de véritable lecture.