L'œuvre de Heinrich Heine (1797-1856) avant son installation en France de 1831 comprend pour l'essentiel des poèmes (" Le Livre des chants ") et des Tableaux de voyage. Particulièrement caractéristique du style heinéen, le genre du tableau de voyage se nourrit d'une curiosité traditionnelle pour les récits de voyage, mais surtout il donne à l'auteur une liberté considérable. La description laisse la place à des digressions personnelles dont les espaces parcourus fournissent le prétexte et qui expriment, dans un rapprochement inextricable, des impressions subjectives et des jugements politiques. L'étranger et la réflexion sur l'Allemagne se mêlent en un réseau de références croisées. Les trois tableaux de voyage en Italie, " Le Voyage de Munich à Gênes ", les " Bains de Lucques ", la " Ville de Lucques ", constituent une unité. Ils reposent sur les notes prises par Heine lors d'un voyage en Italie de juillet à novembre 1828. Alors que l'auteur, au moment de son départ, espérait encore une intégration dans la société allemande qu'aurait permise l'obtention d'un poste de professeur à l'université de Munich, la fin du voyage marque une période de crise : les cercles ultracatholiques de Munich ont empêché que l'intégration se réalise, le père de Heine est mort. Une sorte de radicalisation s'est opérée chez Heine, dont on suit les traces dans la rédaction même. Exprimant à l'origine la fascination teintée d'ironie pour l'Italie, sorte de distanciation ironique par rapport au voyage goethéen, le texte s'est alourdi de la polémique avec le poète Platen qui avait reproché à Heine ses origines juives. Il aboutit avec la " Ville de Lucques " à des réflexions concernant la religion.