Orphelin dès l'âge de deux ans, mal aimé de son père adoptif, puis rongé toute sa vie par les soucis d'argent, par la drogue et l'alcool, Edgar Poe a sans doute eu pour destinée ce que Baudelaire appelait une « lamentable tragédie » - une tragédie que n'a pas rachetée l'accueil incertain que les Américains ont réservé à l'oeuvre de cet enfant de Boston qu'ils se sont toujours refusé à considérer comme un écrivain capital. Et cependant, quelques années seulement après sa mort, l'Europe s'empare de son oeuvre, Baudelaire traduit plusieurs oeuvres en prose, Mallarmé certains de ses poèmes : la renommée de Poe est immense, et bientôt Valéry pourra évoquer à bon droit « tout ce que doivent les Lettres à l'influence de cet inventeur prodigieux ».
Inventeur, sans doute, de cette forme de conscience littéraire aiguë dont témoignent « La genèse d'un poème » et « Le principe poétique » qui ont marqué tant de poètes français depuis la fin du xixe siècle. Inventeur, également, du roman policier et de la figure du détective amateur incarnée par Auguste Dupin - mais aussi de cet univers d'étrangeté que les Histoires extraordinaires, les Histoires grotesques et sérieuses aussi bien que Gordon Pym ont très tôt révélé et qui fera dire à André Breton que « Poe est surréaliste dans l'aventure ». Après quoi le pouvoir d'ensemencement de cet imaginaire fascinant ne cessera de se manifester : Poe continue de nous accompagner comme une ombre portée.
Edition de Jean-Pierre Naugrette, avec la collaboration de Michael Edwards, François Gallix, France Jaigu et James Lawler.