Qui est l'énigmatique « Mr. W H. » à qui sont dédiés les Sonnets de Shakespeare parus en 1609 ? La mystérieuse dédicace écrite alors par l'imprimeur a fait couler beaucoup d'encre, et de multiples hypothèses sont encore de nos jours évoquées. Lorsqu'il publie cette première version du Portrait de Mr. W. H. en 1889, Oscar Wilde se fait l'écho de certaines théories existantes, et montre qu'il connaît parfaitement non seulement le contexte élisabéthain des Sonnets, mais le texte des étranges poèmes où le grand dramaturge exprime la flamme subtile et passionnée d'un amour complexe qui se cache et se déploie au détour d'un vers ou d'une rime.
Reste qu'à travers ce petit drame à trois personnages noué autour de deux initiales, Wilde fait oeuvre de romancier en mettant lui-même en scène ses réflexions sur l'art du faux et du mensonge, qui préside, selon lui, à toute oeuvre d'art. Avec l'hypothèse de Willie Hughes, si séduisante qu'on pourrait la prendre pour argent comptant, voire mourir pour la défendre, c'est la fiction que constitue Le Portrait de Mr. W. H. qui devient alors manière de recréer la réalité historique, alors même qu'elle la crée de toutes pièces. Tant il est vrai que, pour Wilde, la beauté d'une théorie vaut à elle seule comme théorie de la beauté.