« Eh bien, mon prince, Gênes et Lucques ne sont plus que des apanages, des domaines de la famille Buonaparte. » Prononcés en français, ces mots par lesquels une grande dame de Saint-Pétersbourg accueille un ami au mois de juin 1805 nous plongent d’emblée dans l’atmosphère des salons aristocratiques. Mais ils nous disent aussi que, passé les scènes de la vie domestique et mondaine, le véritable sujet du roman sera l’Histoire et les hostilités entre la France de Napoléon et la Russie d’Alexandre Ier. En écrivant La Guerre et la Paix qui paraît de 1865 à 1869, Tolstoï fait concurrence à l’historien : il puise ses informations aux sources les plus sûres sans renoncer aux pouvoirs de l’imagination qui ouvre à une vérité supérieure. Et cette vérité-là désacralise les grands hommes : les événements qu’ils croient susciter, ils ne font que leur obéir. Au-delà de l’Histoire, enfin, reste la vie ellemême : inconnaissable, et l’évocation de sa complexité donne aussi tout son prix au roman.
Traduction d’Élisabeth Guertik. Édition préfacée et annotée par Michel Aucouturier.