" Si la géographie des bourreaux a permis l'extermination de millions d'êtres humains, il ne reste d'elle que ruines et musées. À l'opposé, la géographie du texte de Si c'est un homme ne cesse de vivre et de vivre encore, à mesure que des mains de lecteurs se saisissent du livre, et le lisent, s'en saisiront dans le futur et le liront, géographie donc ô combien vivante, innervée, nourrie, palpitante, humaine.
Humaine parce que jamais le texte ne parle d'autre chose, même en creux, que d'humanité. C'est l'humanité qui s'enfuit. C'est l'humanité que l'on malmène. C'est l'humanité que l'on broie comme un grain dans un mortier. C'est l'humanité que l'on nie. C'est l'humanité que l'on tente d'effacer, mais c'est l'humanité qui demeure. Elle demeure dans la voix de Primo Levi qui ne cède que rarement à la colère et qui fait le choix d'une description posée des faits, des actes, des lieux, des états et des sentiments.
Exempt de hargne, vide de rage et d'esprit de vengeance, le récit accueille les ombres, les silhouettes, les visages, les souffrances de ceux dont "la vie est courte mais le nombre infini'. "
Philippe Claudel