V.S. Naipaul est né en 1932 au sud de la capitale de Trinidad, Port of Spain, sur une terre uniquement peuplée d'immigrants. Africains descendant des esclaves des plantations de sucre, Vénézuéliens venus du continent latino-américain tout proche, Indiens de l'Uttar Pradesh attirés par des contrats de fermage dans les dernières années du XIXe siècle. Au total, une poignée de communautés déracinées. Minoritaires, les immigrants indiens sont eux-mêmes divisés : musulmans, hindous, chrétiens. Les chrétiens sont presbytériens, anglicans, catholiques. Les hindous, auxquels appartient Naipaul, ont importé le système des castes qui les morcelle.
Ce chaos original, un territoire sans Histoire, une minorité émiettée sur une terre que la colonisation a dévalisée, c'est le seul encouragement reçu par l'artiste. À plusieurs reprises, il a expliqué, peu ou prou, cette idée dans ses livres comme dans ses déclarations : " Plus que tout autre, un habitant des Caraïbes a besoin d'écrivains pour lui dire qui il est et où il se trouve. " Encore faut-il faire son chemin vers le métier d'écrire. Comment le cadet d'une famille de sept enfants, perdu entre les cousins d'une tribu qui partage une maison sur une île des Caraïbes, devient-il le maître des écrivains de langue anglaise ? Le début de ce miracle – puisque ç'en est un – s'explique simplement. Son père, un temps journaliste dans un quotidien de langue anglaise, auteur de nouvelles, adulateur de la littérature, lui transmet l'ambition. Une bourse d'études, l'une des quatre attribuées chaque année sur une île d'un demi-million d'habitants, lui ouvre à dix-huit ans l'université d'Oxford. Ensuite, tout serait impossible sans la ténacité mise au service d'un talent.
Jean-François Fogel