«Mon corps est épuisé, écris pour moi, raconte cette mère oxydée par les mots, érodée par les lettres. Tu as le droit de tout dire.»
Comment obéir à une telle injonction? Suzanne est romancière et fi lle de romancière. Dès l’enfance, les mots ont irrigué ses organes en croissance. Mais au chevet de sa mère mourante, Suzanne ne sait plus si elle écrira encore. Les mots ne lui appartiennent pas, elle les a reçus en héritage, et même les souvenirs d’enfance de sa mère, dans un village des montagnes libanaises, semblent supplanter les siens. Alors monte en Suzanne une inquiétude : et si cet héritage était une dette? Et si, de livre en livre, sa mère n’avait jamais cherché qu’à se débarrasser d’un fardeau qu’elle aurait fi ni par lui transmettre? Or Suzanne a déjà trop écrit pour ignorer qu’une dette contractée en littérature ne peut se solder qu’en littérature.
Romancière, Yasmine Ghata est notamment l’auteur de La nuit des calligraphes (Fayard, 2004), traduit en treize langues et couronné par plusieurs prix en France et à l’étranger.