Le purgatoire recèle nombre d'écrivains injustement oubliés. Ou quand un écrivain " fils de " décide de réhabiliter – à sa manière – la mémoire de son père.
Qui connaît encore aujourd'hui le nom de Roger Ikor ? Victime, comme beaucoup d'autres avant et après lui, de la malédiction du Goncourt, le lauréat du millésime 1955 eut son heure de gloire avant de rejoindre la cohorte des écrivains anonymes. Destin cruel pour ce fils de petits commerçants immigrés d'origine juive, pur produit de la méritocratie républicaine, pour cet universitaire brillant, intellectuel engagé et ardent défenseur de la laïcité dont l'existence fut tout entière gouvernée par le sens de la morale.
C'est cet homme d'exception qu'Olivier Ikor, son fils, devenu à son tour écrivain, a souhaité évoquer à travers ce livre pour contribuer à le faire redécouvrir. Mais un second livre se cache dans le premier. Car cette entreprise est également l'occasion pour Olivier Ikor de tordre le cou à certaines idées reçues en témoignant par l'exemple de la condition au fond peu enviable de " fils de " et de la difficulté à grandir dans l'ombre d'une pareille figure. Les " grands hommes ", y compris les romanciers censés en savoir si long sur l'âme de leurs semblables, sont avant tout de simples mortels avec leurs qualités et leurs défauts, démystifie-t-il.
Ni tout à fait une biographie, ni véritablement un essai, Mémoires de mon père est une sorte d'objet littéraire non identifié étonnant et attachant. En s'affranchissant des genres pour pâturer à son aise dans ses souvenirs comme dans les écrits de son père, en apostrophant au besoin ce dernier histoire de renouer les fils d'un dialogue trop tôt interrompu, en feignant la désinvolture pour mieux masquer sa pudeur au moment d'évoquer des souvenirs aussi douloureux que la dérive alcoolique de sa mère ou le suicide de son plus jeune frère, Olivier Ikor offre de son père un portrait sensible et sans fard, et lui rend au final le plus beau – car le plus sincère – des hommages.