Sur une plage au crépuscule, des adolescents écoutent l'un d'entre eux raconter une histoire. Belle histoire ? Un crime. Désertas est un îlot pénitentiaire, nul ne sait où. Pierre vient d'arriver. Soumis à la loi des jeunes criminels, il doit parler. Devant ce public menaçant, il se pique au jeu théâtral de ses aveux au clair de lune.
Il découvre l'art de subjuguer, d'apitoyer, d'épouvanter ceux qui n'ont peur de rien, de manier suspense et rebondissements, de donner un sens aux destins bafoués, à commencer par le sien. Il raconte les riches heures où ses parents s'aimaient, où son père, un embobineur, croyait tirer les ficelles et répartir les rôles, où les secrets restaient secrets. Jusqu'au soir où sa mère disparaît. J'allais avoir six ans, les Delfonics tournaient, le vent secouait les rideaux, la nuit menaçait de tout emporter, je me réveillais dans un livre habité par des bûcherons réduits à manger leurs enfants, un rêve où mon père se profile à la manière d'un voleur, arrivant chez lui débraillé, pâle, sa veste noire parsemée de flocons ; il referme à clé, il va boire à l'évier avec le bruit d'un animal en train de mourir pendant que moi, je vois ses mocassins enneigés et son pantalon trempé. De nous deux lequel est le plus effrayé quand nos regards se croisent ? À dire ce qu'il n'a jamais dit, à revivre ce que la veille encore il voulait oublier, Pierre entre pour la première fois en lui-même, il ose affronter l'image titanesque du père, et se résout à lui ressembler.