Retranché derrière sa fenêtre, surplombant le trou boueux et le savant foutoir d'un immense chantier, Gapos est là, tel qu'en lui-même, fonctionnaire au bureau des lettres en souffrance de quelque ministère du temps perdu. De lettres, d'ailleurs, il n'en manque pas. À qui, à quoi donc pourrait bien servir sa baroque érudition d'antan, qu'il consume dans la rédaction d'une volumineuse encyclopédie réservée à son seul usage ? Lorsque débarque, hors de souffle, Augustin, son gros ami dolent rêvant de se marier, poursuivi par les sbires de la Surveillance du territoire, et que meurt Prince, le chien poète de sa vieille voisine, les ennuis commencent.
Tandis que Gapos, en héros de quatre sous, décide de démissionner de la grande machinerie, sa rencontre avec Vilmer, jeune et richissime actionnaire, collectionneur déjanté d'objets improbables, dans le pub de Mildred, une étrange barmaid mi-bostonienne mi-abandonnée, va le mettre au pied du mur et de la vie réelle.
Après un dérapage mal contrôlé du côté des luxuriants rivages de Sumatra, une moindre odyssée par l'autoroute de l'Ouest conduira Gapos vers sa vérité.
Pierre-Alain Tilliette vit et travaille à Paris. Gapos, vies chimériques est son premier roman.
Multipliant les techniques narratives et en dialogue constant avec les " bons maîtres " de la littérature comme avec des amis qu'on retrouve le soir pour l'apéro au bistrot du coin, ce roman très original, drolatique et poignant, mélodique et bruitiste, frivole et profond, est en somme l'épopée de l'ingénieux hidalgo Gapos de partout et nulle part, tentant de scruter, à l'orée de l'ère de l'information, la singulière solitude de ce monde nouveau. Étayée par une syntaxe au caractère parfois abrupt et par l'étrangeté du propos, l'outrance est si naturellement incorporée à l'écriture qu'elle en constitue la vérité, une vérité qui devrait apparaître en bout de course bouleversante, comme en écho à l'apostrophe de François Villon : " Frères humains. "