Vous n'avez jamais vu l'aube. La vraie. Pas celle du premier train de banlieue. Seul le pêcheur sait le goût exact du matin, le goût du pain et celui du café de l'aurore. Il a, seul, ces privilèges exorbitants. Né subtil, il n'en parle pas. Il garde tout cela pour lui. C'est un secret entre le poisson et lui, l'herbe et lui, l'eau et lui.
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Poisson, roseau pensant dans les roseaux, je te salue ! Tu mérites, plus que la guêpe, un coup de chapeau.
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Un soleil d'Austerlitz monte sur Jaligny ébloui par tant de gloire et de lumière. Je pêche dans une toile de Monet. Me voilà au Salon de l'Été, accroché à un mur de verdure.
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J'habite tous les châteaux d'eau. J'aime toutes les pêches. Toutes les rivières. Tous les canaux. Tous les étangs. Je peux même pêcher le poisson-chat, ce Frankenstein des eaux, dans une mare de ferme, lancer ma ligne entre deux canards. Je pourrais vous raconter mes très modestes histoires de pêche jusqu'à la nuit, mais c'est déjà la nuit.
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L'oiseau bleu file au ras de l'eau, sur coussin d'air. Ça, c'est une loutre et ça, c'est une bécassine. Il pleut à peine sur la rivière, si peu que l'on pourrait croire qu'il s'agit des ablettes qui moucheronnent. C'est le soir. Déjà le soir. Des gouttes d'angélus tombent d'un peuplier.
RENÉ FALLET