" J'étais jeune, un homme me plaisait, un autre m'aimait. J'avais à résoudre un de ces stupides petits conflits de jeune fille ; je prenais de l'importance. Il y avait même un homme marié, une autre femme, tout un petit jeu de quatuor qui s'engageait dans un printemps parisien. Je me faisais de tout cela une belle équation sèche, cynique à souhait. De plus, j'étais remarquablement bien dans ma peau. J'acceptais toutes ces tristesses, ces conflits, ces plaisirs à venir, j'acceptais tout d'avance avec dérision.
Je lus, le soir tomba. Je posai mon livre, appuyai ma tête sur mon bras, regardai le ciel passer du mauve au gris. Je me sentis soudainement faible et désarmée. Ma vie s'écoulait ; je ne faisais rien, je ricanais. Quelqu'un contre ma joue, que je garderais ; que je serrerais contre moi avec la déchirante violence de l'amour. Je n'étais pas assez cynique pour envier Bertrand, mais assez triste pour envier tout amour heureux, toute rencontre éperdue, tout esclavage. Je me levai et sortis. "
Françoise Sagan, Un certain sourire.
Édition réalisée par Monsieur Christian Lacroix.