Il suffirait que je fasse rouler par terre les petits cailloux de ma poche pour qu’ils se rendent compte que je suis là. C’est grisant de penser que ma tranquillité ne tient qu’à un fil, et que ce fil, je le tiens entre mes mains. Quand je réfléchis trop longtemps, c’est comme lorsque je me regarde trop longtemps dans la glace, à un moment donné je ne me vois plus, je ne me reconnais pas, je perds peu à peu le sentiment d’être moi.
Août 1963, café Le Central. Du haut de ses quatorze ans, Élisabeth n’est plus tout à fait une enfant, mais pas encore une femme. Sous la table où elle se réfugie après l’enterrement de son amie Thérèse, dans une France provinciale faite de conventions et de non-dits et où la guerre n’est pas si loin, elle écoute les adultes discuter entre eux. Elle écoute et se souvient. Des moments passés avec Thérèse, de sa relation avec sa mère, de ce qu’elle n’a pas su voir ou de ce qu’elle croit comprendre. Dans son esprit se croisent pensées et bribes des conversations du café, entrecoupées de sa lecture du journal intime d’Henriette, toute jeune fille à l’été 1939. Voix et temps s’entrelacent alors et tissent ensemble le récit d’une transmission.
Ce qui lie ces trois personnages féminins – Élisabeth, Thérèse et Henriette – nous est révélé petit à petit. Sur fond de guerre et de collaboration, de conformisme et de violence sociale, les petites et grandes trahisons des adultes se confrontent à l’élan de vie des jeunes filles.
Béatrice Kahn signe un roman dense et familial où elle aborde avec justesse le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte, avec tous les questionnements qui y sont liés, et cette préoccupation majeure : comment se construire en gardant son intégrité, c’est-à-dire, aussi, comment faire avec ce qui nous précède, ce qui nous a été transmis souterrainement ?