« Un homme couché doit passer sa vie à déterminer ce que doit être un homme debout ». On ne peut affronter les écrits de Joë Bousquet sans s'adresser à sa Blessure. On imagine que nous nous attacherons moins à la blessure physique qui l'a fauché à Vailly le 27 mai 1918 qu'à celle, symbolique, que nous repérerons dans les interstices d'une écriture qui s'épuise à en dessiner comme l'ombre, à celle qu'il s'était décidé à « naturaliser ».
Prenons garde à n'en point faire un ensemble signifiant et originel d'où tout le texte de Bousquet prendrait sa source. Elle n'agit pas comme un point fixe mais toujours hors de son orbite, entretissant des rapports avec tout ce qui n'est point de son domaine particulier. Ainsi c'est en étudiant la création bousquetienne, son art du roman, le rapport que Joë Bousquet entretient avec le Langage, le mythe, la pensée, que nous approcherons le plus de son point incandescent.
Au lieu de partir de la Blessure pour aboutir au Texte, c'est le Texte qui nous offrira la trace de la Blessure.
Mais peut-on, de bonne foi, parler de la Blessure de Bousquet « en restant sur le rivage » ? Cette contradiction que G. Deleuze relève dans la Logique du sens (p.214) rend parfaitement compte du fatal décalage existant entre tout discours critique et l'œuvre de Bousquet. On n'entre dans son univers désorbité qu'en s'adaptant peu à peu au coup d'état de l'esprit qui soulève sa propre exigence. Joë Bousquet se mérite, en quelque sorte. Non qu'il en soit donné qu'aux initiés de le lire.
Ne souhaitait-il pas en effet devenir « le paysage que les hommes ne voient qu'à travers le tissu de leurs rêves et de leurs idées » ? Bousquet s'enfante en nous chaque jour.