À travers plus d'un millier de lettres, pour la plupart inédites, la Correspondance d'Emmanuel Chabrier (1841-1894) s'impose comme une des plus belles du monde musical. « Gai comme les pinsons et mélodieux comme les rossignols », ami des poètes et des peintres, Chabrier se disait avec raison « le moins illettré des musiciens », et sa correspondance en est bien la preuve, portée par une verve et une gaieté communicatives, mais où la drôlerie et la cocasserie savent laisser place à la tendresse, à la mélancolie et à l'émotion.
Chabrier, qui savait pourtant qu'« on ne prend pas au sérieux les gens qui rient », a revendiqué la liberté de « faire du grand art gai et du grand art tragique » : à côté d'opéras « sérieux » comme Gwendoline et Briséïs (qu'il laissera inachevé), un opéra-bouffe (L'Étoile), une opérette (Une éducation manquée) et un opéra-comique (Le Roi malgré lui), de savoureuses mélodies, d'admirables pièces pour piano qui inaugurent l'impressionnisme musical et de splendides pages d'orchestre parmi lesquelles la rutilante España.
On peut suivre au fil des lettres la genèse et l'histoire de ces œuvres, la collaboration du musicien avec ses librettistes et avec ses éditeurs, mais aussi la vie musicale et théâtrale du temps, et l'histoire de cette personnalité riche et chaleureuse, dans un style coloré et vif qui fait de ces lettres autant de « pièces pittoresques » et de morceaux d'anthologie. C'est également le drame d'un adorateur fervent de la musique, ce « génie méconnu et malchanceux » salué par Ravel qui voyait en lui un « Dostoïevski français dont la correspondance, savoureuse et navrante à la fois, passionne tel un roman ».