Selon Françoise Létoublon, la linguistique actuelle, une fois pasée l'époque des théories globales, s'appuie sur l'étude de sujets précis dans des langues particulières. Les langues anciennes ont de ce point de vue autant d'intérêt que les langues vivantes, et fournissent au linguiste un outil irremplaçable, la tradition philologique.
Je vais, nous allons, j'irai : le français, comme le grec ancien, conjugue le verbe aller sur plusieurs radicaux : ce livre justifie cette bizarrerie de la conjugaison au moyen d'une analyse des emplois du grec archaïque.
Ce verbe irrégulier montre comment la langue unit la référence à l'espace-temps orienté autour du locuteur aux oppositions d'aspect caractéristiques du grec, comme en français « je vais — je viendrai — j'allais — je vins ». D'autres paradigmes verbaux ont eu une syntaxe propre et un sens spécifique. Mais dès l'époque homérique, le paradigme « aller/venir » les influence, neutralisant cette spécificité. Le système d'ensemble est analysé comme une galaxie : les verbes-satellites tournent autour du paradigme-soleil ; au cours du temps, ils s'en sont rapprochés pour former des doublets (synonymes) ou se sont égarés dans le néant.
Un champ sémantique comme celui du mouvement permet de préciser la connaissance du grec archaïque : la langue des aèdes forme un système cohérent, une analyse synchronique tenant compte de son dynamisme interne le prouve. Elle témoigne des représentations collectives de la société grecque archaïque : à travers les emplois idiomatiques des verbes de mouvement, l'auteur étudie les représentations du temps, de l'espace du texte, de la mort etc., et, à propos de plusieurs de ces emplois, met en question la notion de métaphore.