Le futur romancier des Thibault éprouve deux tentations qu'il estime divergentes. "Je me sens attiré, écrit-il (...) vers les œuvres d'idées, le livre à thèse, philosophique, sociologique. Ou plus exactement, je me sens attiré à farcir mon œuvre littéraire, roman ou théâtre, de spéculation idéologique." Mais en même temps, il craint que cet attrait pour les idées ne lui fasse négliger de répondre à un autre appel : "Il me semble m'apercevoir que ma corde propre, c'est exprimer, non pas des idées, mais des sensations, des caractères, des personnages, des êtres humains. Que j'ai pour de vrai une intelligence faite de sensibilité, et nullement une intelligence faite de raison. Que je suis un romancier et non un penseur ni un sociologue ; un manieur d'émotions et non un manieur d'idées." Les deux formules établissent une distinction très pertinente entre trois éléments de l'univers romanesque de notre auteur : les idées, les sensations et les personnages, les émotions.