Des Lettres satiriques et amoureuses aux États et Empires de la Lune et du Soleil, on a voulu suivre ici un Cyrano en mouvement non seulement entre les mondes, mais aussi entre les genres, et montrer comment, en ces envols et en ces défis successifs, s'est ouvert l'espace d'une littérature expérimentale pour laquelle rien ne semble plus aller de soi. Sur fond de révolution scientifique et de relativisme généralisé, l'ironie, démultipliée jusqu'au vertige par l'art de la pointe dont Cyrano use en virtuose, y intervient comme une ressource d'une fécondité rare.
Songe libertin ? En quel sens ? Dans le cas de Cyrano, le concept de libertinage peut sembler opératoire pour caractériser non seulement tout un ensemble d'hypothèses et de postures hétérodoxes, mais aussi un certain type d'expériences de pensée où la part de la rêverie sur les pouvoirs de l'imagination reste éminente, au cœur même de cette « genèse de la raison classique » à laquelle le « libertinage érudit » contribue activement. À bien des égards, le mouvement libertin du XVIIe siècle français, aux contours mal définis, constitue encore pour nous un continent englouti de la pensée, largement méconnu et difficile à interpréter. Or l'œuvre de Cyrano, en sa marginalité flamboyante, peut offrir un prisme fort éclairant pour en explorer certains enjeux.
En se situant au confluent de l'histoire des idées (scientifiques, morales, politiques, religieuses) et de l'histoire des formes littéraires, il s'agit ici de ressaisir un moment de crise fondamental pour les représentations de l'homme et du monde, où s'inscrivent à la fois le riche potentiel philosophique de l'œuvre de Cyrano et son inventivité foisonnante dans l'ordre de l'imaginaire.