Au carrefour de la phénoménologie, du kantisme et de l'existentialisme naissant, intégrant les observation des artistes, des historiens d'art, esquissant une métaphysique de l'histoire, l'esthétique du jeune Lukács est un des projets les plus ambitieux que l'on ait entrepris depuis l'idéalisme allemand pour explorer l'essence de l'art en toutes ses dimensions. Sa nouveauté réside dans la proximité de l'auteur par rapport à la production artistique et dans le fait qu'il n'impose à l'art aucune norme, mais qu'il s'efforce de le faire parler lui-même en se soumettant à sa propre logique.
Publié en Allemagne après la mort de l'auteur, ce livre modifie considérablement l'image de l'œuvre lukácsienne et la place qu'il faut lui accorder dans la philosophie du début du siècle. La rédaction de l'ouvrage se situe entre l'Âme et les Formes (1911) et la Théorie du roman (1916), ces deux grands livres de jeunesse dont il dévoile certains fondements systématiques. En introduisant les concepts de malentendu (l'autonomie de l'œuvre par rapport aux sujets créateurs et réceptifs), de la dissonance au coeur des formes artistiques, et de leur historicité, il montre en Lukács l'un des principaux initiateurs de l'esthétique du xxe siècle.
R. Rochlitz