Dans les années 1571-1572, au deuxième étage d'une tour panoptique, Montaigne transforme une « garderobe » en « librairie », flanquée d'un « cabinet » : ici, des peintures murales à l'antique ; là, des sentences ou maximes tracées sur des poutres, en grec et en latin. Un espace consacré à l'amitié et surtout à soi-même, où le gentilhomme s'est rêvé très romain et un peu grec, puis révélé écrivain francophone.
La découverte de ce lieu d'exception a une histoire, liée à celle du tourisme et à celle du regard. Il fallait d'abord raconter cette histoire curieuse d'un apprentissage de la vue. L'observation in situ est une autre exigence : on lui doit une belle moisson de dix sentences inédites, présentes dans la couche inférieure de solives palimpsestes (donc soixante-cinq sentences pour l'édition critique, outre deux inscriptions murales et une dédicace de la bibliothèque à La Boétie). La recherche s'effectue alors en amont (sources textuelles, modèles graphiques et traditions décoratives) et en aval (innutrition des Essais de 1580 par le paratexte toujours offert des sentences peintes). Un constat : au plafond (surmoi ?) comme dans le livre (II, 12), voix sceptique et versets bibliques s'entendent à condamner le penser orgueilleux, avide de science vaine et ennemi de la grâce, comme de la santé.
Mais comment se bien placer dans ce theatrum de la vanité des sciences, où l'architectonique a commandé en partie la disposition des inscriptions ? Faut-il être assis, debout, mobile ? Regarder devant soi, au-dessus de soi, ou bien « de bon biais », « d'une vue oblique » ? Le mieux est de tout essayer : dans tous les cas, on aura sans doute appris, le corps aidant, à mieux lire les Essais, ce livre unique qui eut la tour de Montaigne pour berceau.