Les Pensées de Pascal ne posent pas seulement des problèmes d'établissement du texte, de datation et de classement des fragments qui les composent ; elles posent au philosophe le problème de leur sens. cet ouvrage récuse les interprétations qui, réduisant les Pensées à la perspective apologétique, achoppent inévitablement sur le caractère délibéré du désordre, l'élargissement du propos, la multiplication des protagonistes. Car on peut résoudre cette triple difficulté sans amputer le texte, pourvu qu'on décèle derrière le discours de la preuve, proprement apologétique, un discours sur les conditions et sur les fins de la preuve, qui est d'un tout autre ordre.
Conformément aux opuscules De l'esprit géométrique et De l'art de persuader auxquels il faut se reporter pour réfléchir sur les mécanismes de la créance et sur son dérèglement, Pascal ne vise pas à convaincre le libertin de la vérité du christianisme qu'il ne veut pas croire mais, par le biais d'une démonstration de cette vérité apparentée à la vérification des hypothèses en physique, à le convaincre au moins de son impuissance à croire et à justifier ainsi, avec le contenu de la foi, la forme même de la foi.
Si la métaphysique cartésienne permet à la raison d'éprouver sa finitude en érigeant au-dessus d'elle l'infinité incompréhensible du Dieu qui garantit ses vérités, l'apologétique pascalienne, en attestant sa corruption, double son usage démonstratif d'un usage critique qui place la théologie au centre de toutes ses vérités. C'est donc à la lumière du dispositif qui provoque l'éclatement des Pensées qu'il convient de lire l'œuvre entière afin d'apercevoir sa rigoureuse systématicité et d'en reconnaître la portée anticartésienne.