Traitant d'un auteur dont T.S. Eliot déclarait qu'il était déjà un bagage inutile, cette étude appelle quelque justification liminaire. On concèdera qu'Emerson n'est plus pour la jeunesse le livre de chevet qu'il fut pendant plusieurs décades, peut-être même pendant plusieurs générations. L'expérience intime du XXe siècle n'est plus accordée à ses intuitions ; à bien des égards le XIXe siècle, surtout américain, est plus éloigné de nous que telles époques anciennes qui ont avec la nôtre le lien d'une commune inquiétude, d'une commune insécurité. On ajoutera qu'un esprit français, si ouvert ou disponible qu'il soit, est rarement à l'aise devant la pensée qu'Emerson, fragmentaire à l'extrême, pauvre d'architecture alors même qu'elle s'efforce d'ordonner, foisonnante de contradictions, de repentirs, de non sequitur, si peu soucieuse de rigueur qu'elle fait parfois douter de sa solidité. Pascal est notre référence implicite, et nous gardons rancune à Emerson de n'avoir pas su, comme notre compatriote, nous contraindre par la logique dans le temps même où il nous séduisait par la force et la vivacité de ses perceptions.