Un auteur qui, furieux, griffonne les premières lignes d'un journal musical après avoir cru reconnaître ses propres mélodies sous les miaulements d'une chanteuse égarée et qui, quelques lustres plus tard, conclut le même texte en congédiant sa production vocale sur un mélancolique « good bye, my songs, et sans rancune ! » ne peut être de cette race désuète de musiciens de salon, auteurs de romances à la mode.
Pour Francis Poulenc (1899-1963), un des plus grands mélodistes du XXe siècle, avec Fauré, Debussy et Ravel, écrire une mélodie était avant tout une expérience poétique, émue et réfléchie.
Le Journal de mes Mélodies — que cette édition, préfacée par Denise Duval, l'interprète et amie, restitue dans une nouvelle version enfin intégrale dotée d'un appareil de notes très complet — se veut fidèle au souhait du compositeur lors de la préparation de sa première publication (1964) : il s'agit avant tout d'un guide pour les chanteurs soucieux de bien interpréter sa musique. Mais ce texte, restitué dans sa chronologie originale, sans discrimination sur une matière qui est celle, touchante et paradoxale, d'un véritable journal intime, doit aussi être lu comme le témoignage sans fard d'un musicien qui sut — et au prix de quels doutes ! — être de son temps avant d'être « moderne ».