Durant la première décennie du XXe siècle, à l'époque où se fait jour en Europe cet art de peindre révolutionnaire qui s'est appelé «l'art moderne», Emil Nolde s'impose comme le chef de file du courant expressionniste allemand. Sa vie, son œuvre, la passion qu'il nourrit pour son art obéissent dès lors à une double orientation, vers le monde et hors du monde, qui représente comme la pulsation d'une âme vouée à la création artistique en même temps qu'à l'instauration de la modernité picturale dans son pays. D'un côté, il est de tous les conflits qui agitent l'Allemagne traditionnelle, encore prisonnière d'un néoclassicisme académique, mais déjà travaillée par l'idéal moderniste, et il s'engage dans un combat enthousiaste en faveur d'un nouvel art allemand. D'un autre côté, solitaire et reclus, caché dans de modestes maisons de pêcheurs sur les rivages déserts de la Baltique ou de la mer du Nord, il met au monde une œuvre tout à la fois somptueuse et ascétique, à l'écoute de la puissante nature et puisée tantôt aux sources du fantastique, tantôt à l'émotion religieuse, héritée du piétisme de son enfance. Le génie lyrique de ce chantre incomparable de la couleur, qui compte parmi les familiers du Cavalier Bleu, comme de cet inventeur d'une langue graphique totalement inédite est celui d'un des plus grands peintres du XXe siècle. Le démontrer est une des finalités de cet essai, le premier en français entièrement consacré à Emil Nolde.