À l'aise dans presque toutes les littératures européennes et slaves, René Wellek (1903-1995) –désigné par certains de ses contemporains comme le « critique des critiques » et par d'autres, saisis par la fièvre contestataire des années soixante, de survivant d'un âge périmé– a su imposer de l'ordre dans les phénomènes littéraires les plus disparates et contrer les abus de lectures extravagantes et des modes éphémères à succès.
Refusant des doctrines littéraires strictement utilitaires, il dénonce la prise en compte d'une œuvre sous un angle purement extérieur servant de prétexte à des commentaires politiquement corrects. Pour lui, la méthode ne peut pas se séparer de son objet, car l'œuvre elle-même est philosophie. Comme Kant, il défend le domaine esthétique contre toute incursion : contre la réduction de l'art à un stimulus qui déclenche une réaction émotionelle, contre l'apparence trompeuse d'un vernis moral qui masque l'indigence du discours sous de bons sentiments, et contre une approche intellectualiste qui fait de l'art une forme appauvrie du savoir, une philosophie de pacotille dépourvue de système.
Mais, malgré son admiration pour Kant et son refus de subordonner l'œuvre littéraire à la raison pratique, Wellek ne veut pas non plus minimiser l'importance des données empiriques et annonce plutôt une synthèse : l'œuvre est à la fois un événement historique et un phénomène esthétique porteur de valeurs qui lui sont propres. Et justement, il appartient à Wellek, le porte-parole des grands courants critiques des trois derniers siècles, de ne jamais abdiquer sa fonction d'ultime arbitre, comme le constatera le lecteur de ce volume.