Piraterie éditoriale ou métamorphose d'un trésor iconographique, voici qu'en 1646 paraît chez le libraire et graveur Pierre Daret une Doctrine des mœurs tirée de la philosophie des Stoïques représentée en centtableaux et expliquée en cent discours qui vient de loin : des Flandres, exactement. Car les « cent tableaux » annoncés par son titre se contentent de reproduire à l'identique les planches d'un des livres illustrés les plus célèbres du XVIIe siècle flamand : les Quinti Horatii Flacci emblemata (1607) du peintre anversois Otto Van Veen. Flairant un beau coup éditorial, Daret les a fait compléter par des images nouvelles dues à Eustache Le Sueur et Charles Errard, en chargeant un romancier à succès, Marin de Gomberville, d'expliquer le tout « en cent discours ». L'astucieux commentateur a réorganisé l'ouvrage emblématique en un « livre-galerie » dans l'esprit de l'ancien Philostrate, destiné au jeune Louis XIV métamorphosé en destinataire privilégié de cette école des images d'esprit stoïcien.
Ouvrage de luxe, volume d'apparat déguisé en promenade de méditation morale, ce défilé d'images, de citations et de commentaires chargé d'édifier l'âme et de la guider aux carrefours de sa destinée humaine ajoute sa pierre à la muraille que la France de la raison lucide et de la monarchie solaire dresse contre les ténèbres de la mélancolie enveloppant l'Europe baroque de son manteau ombreux. Entre les lumineux Principes de la philosophie de Descartes (1644-1647) et le sombre Paradis perdu de Milton (1667), La doctrine des mœurs illustre de ses images pondérées, ordonnées et architecturées la réaction française à l'angoisse d'un monde qui va sortir pantelant de la guerre de Trente ans en 1648.