John S. BAK - "White Paper" and “Cahiers Noirs”: Williams's many Ur-Memoirs
Why did Tennessee Williams write Memoirs after having claimed on several oc-casions that he would never produce an autobiography? One answer to this question lies in the boxes of unpublished manuscripts from the early 1960s to the mid-1970s (and later) that document his life, detail his aesthetics, and defend his post-1961 theatre. What these many Ur-Memoirs—some polished, many frag-mented and unedited—demonstrate is that Williams did want to produce an auto-biography that was as artistic as it was insightful. This work was not to be the Memoirs, however, which he really started writing a decade too late.
Pourquoi Tennessee Williams a-t-il écrit Memoirs après avoir affirmé à plusieurs reprises qu'il n'écrirait jamais son autobiographie ? La réponse à cette question réside en partie dans les boîtes de manuscrits inédits rédigés entre les années 1960 et le milieu des années 1970 (et plus tard). Ces documents nous informent sur ses efforts pour enregistrer les événements de sa vie, annoncer son esthétique, et défendre son théâtre d'après 1961. Achevés ou, pour la plupart, fragmentés, ces nombreux « Ur-Memoirs » démontrent que Williams voulait écrire une autobiographie qui était aussi bien artistique qu'érudite. Malgré ses efforts, Williams n'a pas produit Memoirs, qu'il a vraisemblablement commencé à écrire une décennie trop tard.
Marie PECORARI - “Scratches upon the caves of our solitude”: Weighing in on the Essays
This article approaches Tennessee Williams's Essays from a generic perspective as a cohesive body of work. Despite (or because of) its lack of definitional features, the essay is here used as a framework to show how Williams embraces the playful tactics of the genre while shunning its self-portraying tendencies. Refusing didacticism and self-justification, Williams develops a series of poetic strategies to evade the obligation to explain the genesis and meaning of his works, in what amounts to a game of hide-and-seek with the reader. The self-imposed imperative to maintain tension can be traced back to the essay's definition as a “force field” (Adorno), as well as to Williams's propensity to extend essential components of drama to all forms of writing.
Cet article aborde les Essays de Tennessee Williams d'un point de vue générique comme un corpus cohérent. Malgré (ou à cause de) son manque de traits défini-toires, l'essai est utilisé ici comme cadre afin de montrer comment Williams s'approprie les tactiques ludiques du genre tout en rejetant ses tendances autoportraitistes. Refusant le didactisme comme l'auto-justification, Williams met en place une série de stratégies poétiques visant à échapper à l'obligation d'expliquer la genèse et le sens de ses œuvres, dans ce qui ressemble à un jeu de cache-cache avec le lecteur. L'impératif qu'il s'impose, consistant à présenter ses objets comme traversés de tensions, renvoie à la définition de l'essai comme « champ de forces » (Adorno), ainsi qu'à la propension de Williams à étendre l'essence du drame à l'écriture en général.
Isabelle ALFANDARY - La parole interdite dans un poème de Tennessee Williams
Cet article tente d'analyser et de définir les conditions et les modalités de la privation de la parole et le paradoxe de l'inhibition de la voix dans un poème tardif de Tennessee Williams. Les stratégies poétiques mises en œuvre pour exprimer le désir inexprimable du sujet lyrique y sont examinées en détail.
This paper seeks to analyze and define the poetic conditions and modalities of speechlessness and the paradox of vocal inhibition in a late poem by Tennessee Williams. The poetic strategies at work to express the inexpressible nature of the lyrical voice's desire will be specifically examined.
René ALLADAYE - The Roman Spring of Mrs Stone : entre théâtre et prose romanesque ?
Cette étude de The Roman Spring of Mrs Stone (1950), l'un des deux romans publiés par Tennessee Williams, a pour objectif de traquer, dans un texte narratif, des motifs dramatiques. Il s'agit de voir comment Williams romancier, loin de rompre avec sa pratique de dramaturge, prend constamment appui sur elle tout en l'aménageant. The Roman Spring of Mrs Stone renvoie sans cesse au monde du théâtre et ressemble étonnamment à une pièce, tant par sa construction que par certains aspects de son écriture. Une partie importante de l'analyse est consacrée aux échos intertextuels et s'efforce d'éclairer la lecture d'une œuvre qui se situe à la croisée des chemins : une voie dramatique, qui s'incarne de façon privilégiée dans la manière dont le texte fait écho à A Streetcar Named Desire, et un chemin romanesque qui voit Williams s'inscrire dans la mouvance d'Henry James, et livrer par endroits une réécriture de The Portrait of a Lady.
The aim of this study is to explore the dramatic motifs at work in one of Tennessee Williams's novels, The Roman Spring of Mrs Stone (1950). The key idea is to observe how Williams, as a novelist, far from neglecting—let alone forgetting—, the approaches that made him successful as a playwright, uses them in the com-position of his novel. The Roman Spring of Mrs Stone systematically refers to the world of drama and, in many ways, reads remarkably like a play, especially when one considers its construction. In fact, this work stands very much at the cross-roads between drama and narrative prose, and Williams's subtle handling of inter-textuality gives the reader ample opportunity to see this. The novel may often appear as a rewriting of A Streetcar Named Desire, but it is also closely related to American nineteenth- century prose, more specifically, to Henry James's The Portrait of a Lady.
Agnès ROCHE-LAJTHA - Dionysus, Orpheus and the Androgyn : Myth in A Streetcar Named Desire
This article explores the mythic dimension of one of Tennessee Williams's best-known and most enduring plays. The author's revival of ancient myths and archetypes in Streetcar illustrates his professed belief in the collective unconscious as the source of his richly symbolic dramas. The conflict between the main characters is endowed with universal significance—the clash of two rival myths vying for dominance in Williams's imagination. While Stanley Kowalski is presented as a modern day avatar of Dionysus, the amoral, primitive god of drink and fertility, Blanche DuBois's descent into the underworld of Elysian Fields makes her the failed embodiment of the guilt-ridden, inconsolable Orpheus. A yearning for the reconciliation of opposites is ultimately revealed in the myth of the androgyn, the third substratum of Streetcar and the spring of Williams's alchemical art.
Cet article explore la dimension mythique d'une des pièces les plus célèbres de Tennessee Williams. La résurgence des mythes antiques et des archétypes qui caractérise Streetcar témoigne de la conviction maintes fois réaffirmée par l'auteur que la saturation symbolique de son œuvre dramatique puisait son inspiration dans -l'inconscient collectif. Investi d'une portée universelle, le conflit qui dresse l'un contre l'autre les personnages principaux est celui de deux mythes rivaux entre lesquels oscille l'imaginaire williamsien. Alors que Stanley Kowalski incarne un avatar moderne du dieu primitif de la fertilité et de l'ivresse, la descente aux enfers de Blanche DuBois fait de cette dernière l'incarnation déchue d'un Orphée -inconsolable et hanté par le remords. Troisième substrat de l'œuvre et source de l'art alchimique de Williams, le mythe de l'androgyne tend finalement à l'impossible réconciliation des contraires.
Henry I. Schvey - The Tragic Poetics of Tennessee Williams
Essential to the work of Tennessee Williams is an awareness of what may be termed a tragic conception of life. Although his work eschews theoretical models and he seldom references the term “tragedy” to describe any of his plays, one may nonetheless discern a Poetics of Tragedy at the core of Williams's work. By examining the playwright's own essays on theatre, his lifelong obsession with mental illness, and the prevalence of images of violence, self-sacrifice, and martyrdom in his work, the present essay seeks to identify Williams's tragic poetics. By so doing, this essay reveals how the work of this prolific, uneven, and above all tormented dramatist helps contribute to a new understanding of the meaning of tragic drama in the late twentieth century.
Au cœur de l'œuvre de Tennessee Williams se trouve cette conscience de ce qu'on pourrait appeler une conception tragique de la vie. Bien que ses pièces répugnent à tout modèle théorique et que Williams ne convoque que rarement le terme de « tragédie » pour parler de son travail, l'ensemble de l'œuvre de Williams construit une poétique du tragique. Le présent article sollicite les textes sur le théâtre de Williams ainsi que les images de violence, d'auto-sacrifice et de martyre au centre de l'œuvre pour montrer comment l'œuvre de ce dramaturge prolixe, inégal et par-dessus tout tourmenté, permet de comprendre les contours du nouveau théâtre -tragique qui s'écrit au XXe siècle.
Frédéric MAURIN - “Oh! You do have a bathroom ! First door to the right at the top of the stairs?”
La salle de bains dans la mise en scène d'Untramway nommé Désir
Dans Un tramway nommé Désir, la salle de bains se situe à l'extérieur de l'action et dans la coulisse du plateau. Elle est l'irreprésenté d'une pièce écrite par un auteur qui a longtemps été mis au ban par l'expérimentation théâtrale. Or, c'est justement sur ce point aveugle que se sont concentrés quatre metteurs en scène actuels, interrogeant le hors scène qu'il recouvre et le recentrant au besoin. Dans un entour japonisant, Lee Breuer fait de la salle de bains à la fois le lieu de l'intimité précieuse et l'antichambre du potentiel agressif (2011) ; en relayant sur un moniteur les agissements qui s'y déroulent, Frank Castorf incorpore le caché dans le montré et joue avec ironie sur l'interaction entre l'image et le réel (2000) ; Krzysztof Warlikowski brouille l'identité et la signification d'un long couloir abritant pourtant des équipements sanitaires très visibles (2010) ; enfin, une baignoire exhibée en scène déclenche chez Ivo van Hove un spectacle extrêmement physique, pulsionnel, sexuel (1995/1999). Dans ces quatre exemples, recentrer la salle de bains interdite de représentation contribue à réhabiliter Tennessee Williams en l'arrachant à la tradition du réalisme psychologique auquel son nom reste attaché.
In A Streetcar Named Desire, the bathroom is located outside the action and offstage. It delineates the unrepresented part of a play written by a playwright who has long been despised by the alternative theatre. But at least four contemporary directors focused on this blind spot and brought it to the fore or even centre stage. In a Japanesque environment, Lee Breuer treated the bathroom as both the place of privacy and the background of threat (2011). Videotaping what took place within and projecting the images on a monitor without enabled Frank Castorf to show on stage what was behind the scenes and to ironically play on the interaction between those images and the real (2000). Krzysztof Warlikowski blurred the definition and the meaning of a long corridor where sanitary equipment was yet fully visible (2010). Finally, the bathtub exhibited on stage by Ivo van Hove served as a trigger for a highly physical, sexual production (1995/1999). In these four instances, focusing on the hidden, “forbidden” bathroom may help to redeem Tennessee Williams by wrenching him from the psychological-realistic tradition his name is still attached to.
Anne-Marie PAQUET-DEYRIS - Traduire les tensions tragiques : Tennessee Williams à l'écran
Cinq films centraux ont marqué l'histoire chaotique et riche de l'adaptation des pièces de Tennessee Williams : les deux films de Elia Kazan, Un Tramway nommé Désir en 1951 et Baby Doll en 1956, La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks en 1958, Soudain, l'été dernier de Joseph Mankiewicz en 1960 et enfin, La Nuit de l'iguane de John Huston en 1964. Chaque réalisateur traduit de façon plus ou moins iconoclaste un moment de crise dans la vie d'Américains types aux failles trop profondément humaines pour qu'ils deviennent jamais des stéréotypes. Le cinéma donne aux arènes étouffantes et expressionnistes de Williams un espace de représentation reformaté selon les codes hollywoodiens mais aussi selon les conventions représentatives autres du cinéma indépendant. La résistance à la pression du Code de Production s'inscrit à l'écran dans la texture et la composition de l'image. Les drames de Williams aux accents de tragédie s'y rejouent sur un mode moins feutré où l'unité de lieu si chère au dramaturge se déploie différemment.
Five of the most significant movies adapted for the screen from Tennessee Williams's plays are Elia Kazan's A Streetcar Named Desire (1951) and Baby Doll (1956), Richard Brooks's Cat on a Hot Tin Roof (1958), Joseph Mankiewicz's Suddenly Last Summer (1960) and John Huston's The Night of the Iguana (1964). In these brilliant transpositions from one sign system to another, construction and visual grammar seem to be the key to the tragic tensions informing Williams's both realistic and impressionistic prose. These new filmic conventions and signs somehow re-encode Williams's protagonists' profound crises into peculiar and haunting choreographies.