Nathalie AUBERT, Proust et Bergson : la mémoire du corps
Cet article réévalue les théories de Bergson et de Proust concernant la mémoire. Il vise à montrer que si tous deux partent d'un constat de départ similaire sur la nature et le fonctionnement des deux mémoires (mémoire spontanée et mémoire de l'habitude), ils arrivent à des conclusions différentes. Ils ont tous les deux proposé une approche qui ne vise plus à la pleine possession intellectuelle de l'expérience moyennant sa soumission à l'essence ; ils ont montré qu'il y a un perpétuel va et vient de l'irréfléchi au réfléchi, et du réfléchi à l'irréfléchi et que la mémoire arrive à déployer ses opérations dans un espace problématique intermédiaire, propre à cette tension. Tous deux ont placé le corps au cœur de cette réflexion. C'est en relisant ces deux auteurs à la lumière de la phénoménologie que cet article expose comment la mémoire équivaut chez Proust à une ontologie de la Présence alors que chez Bergson, elle reste une théorie psychologique.
Aurore PEYROLLES, Écrire pour convaincre : U.S.A. de Dos Passos, Les Communistes d'Aragon
Ce qui frappe, à la lecture de la trilogie U.S.A. de Dos Passos et des Communistes d'Aragon, c'est leur pouvoir de persuasion. Ce qui frappe, à leur étude, c'est l'absence, voire le refus d'un discours explicitement militant. Comment tenir un discours engagé sur le monde réel, comment convaincre le lecteur de vues jugées effectivement plus valables que d'autres, au sein de romans qui ne veulent pas suivre le modèle de leurs homologues à thèse ? La réponse que déploient ces deux œuvres est la même : il faut faire œuvre de littérature et non de propagande. Le renoncement aux ficelles militantes habituelles apparaît comme une nécessité pragmatique au sein d'une stratégie de la conviction. Reste à en démêler les techniques, à en dévoiler l'envers.
Ioana GRUIA, La ville intérieure chez Julio Cortázar et Hélène Cixous (réflexions sur Rayuela, Ex-Cities et L'Amour même dans la boîte aux lettres)
Cet article tente de formaliser la ville intérieure comme élément partagé par Julio Cortázar (Rayuela) et Hélène Cixous (Ex-Cities et L'Amour même dans la boîte aux lettres). À travers une analyse comparée de fragments de ces trois textes, j'établis une série d'articulations communes à Cixous et à Cortázar quant à la construction littéraire de la ville intérieure : la ville comme promesse ; la ville toujours double (la fusion des villes) ; les simultanéités temporelles et spatiales ; la réinvention de la ville ; la liaison entre l'écriture de la ville et l'écriture de l'amour ; la fusion du fantastique avec le quotidien.
Cécile GAUTHIER, Changer de langue pour échapper à la langue ? L'« identité linguistique » en question
La notion d'« identité linguistique », qui consiste à ancrer l'identité dans une langue conçue comme « propriété », sera dans cet article l'objet d'une critique ferme, fondée sur un dialogue entre les pensées de Derrida et de Glissant. L'« unidentité de la langue » (néologisme proposé par le philosophe Marc Crépon), supposée être fondatrice d'une culture, est un postulat à tendance nationaliste qui méconnaît l'absence d'homogénéité de la langue et l'impossibilité du monolinguisme. On peut lui opposer la proposition d'une errance dans la langue et entre les langues, recoupant la pensée de la traduction, et ouvrant sur la possibilité ultime de retrouver une demeure, malgré tout nécessaire, dans la langue, en inventant l'« idiome ».
Yves CLAVARON, Chroniques animales et problématiques postcoloniales
Trois écrivains ressortissants de l'Afrique équatoriale, le Camerounais Patrice Nganang, l'Angolais José Agualusa et le Congolais Alain Mabanckou mettent en scène des animaux narrateurs dans leur roman respectif : Temps de chien, O Vendedor de passados et Mémoires de porc-épic. L'article se propose d'étudier comment ces romans renouvellent des genres littéraires occidentaux anciens (fable, pastorale, autobiographie animale) par l'inclusion de problématiques postcoloniales liées à la construction du sujet et de la nation, à la subversion des discours normatifs et du logocentrisme ou aux contrefaçons de la mémoire. Ces textes régénèrent ainsi les thèmes traditionnels du roman postcolonial d'Afrique en proposant une redéfinition de l'humain et en touchant, même marginalement, à des questions liées à l'environnement et à la vie animale. C'est une manière d'échapper à « l'exotisme anthropologique » dont parle Graham Huggan, à moins qu'il ne s'agisse d'une forme originale du « marketing des marges » entrepris par les éditeurs occidentaux.