Charles Dickens in Twenty-First-Century India. A Study of the Novel Q & A by Vikas Swarup and its Film Adaptation by Danny Boyle
Danny Boyle's film adaptation of Vikas Swarup's début novel Q & A, published in 2005 and released worldwide in 2008 as Slumdog Millionaire, inspired many comments regarding alleged "Dickensian" overtones, but so far no thorough analysis of the novel and its adaptation has really substantiated this claim. This article identifies Dickensian influences in the novel and its adaptation, and it tries to understand why Swarup and Boyle resorted to such allusions. In examining the complex effect of Dickensian references on the reception of these works in India but also abroad, the article reveals that they have led to contradictory and even incompatible, but nonetheless extremely relevant interpretations of Swarup's novel and its cinematic adaptation. Through such references, Swarup and Boyle provide a stereoscopic view of Indian culture similar to that of Dickens's London. This perspective not only reveals the striking contrasts inherent to Indian society and this society's deep ambivalence as to its own identity, it also unveils equally ambiguous Western imaginary constructions of India.
La sortie en 2008 de Slumdog Millionnaire, film réalisé par Danny Boyle et adapté du premier roman de Vikas Swarup, Q & A (2005), a amené de nombreux critiques à y relever des échos « dickensiens ». Pourtant, jusqu'à présent, aucune étude approfondie n'a permis de confirmer cette affirmation. Cet article s'emploie à identifier l'influence de Dickens sur ces deux œuvres et à comprendre les raisons de ces allusions. Il s'interroge sur l'effet des références dickensiennes sur la réception de ces œuvres en Inde et à l'étranger, et constate qu'elles ont conduit à des interprétations contradictoires et par moments incompatibles, mais non moins révélatrices du roman de Swarup et de son adaptation filmique. À travers ces références, Swarup et Boyle livrent en effet une vision stéréoscopique de la culture indienne, semblable à celle du Londres de Dickens. Cette perspective ne révèle pas seulement les contrastes saisissants inhérents à la société indienne et les ambivalences profondes de celle-ci quant à sa propre identité, elle dévoile aussi des constructions imaginaires tout aussi ambiguës de l'Inde par le monde occidental.
Revisiting Great Expectations. The Postcolonial Persistence of Dickens
Following John Thieme's definition of postcolonialism's dual response to Dickens, resenting canonical writing yet responding to his vision of Englishness and his depiction of marginality and deception in Victorian England, this paper will address the way in which postcolonial engagement with Dickens both qualifies and reasserts the persistence of Dickens. Great Expectations and Pip's inability to read the scenario of his own life provide the hypotext for Lloyd Jones's novel, relocating reading in the context of exploitation and the ruthless violence of war, hovering between redemption and irony. Flanagan's Wanting portrays Dickens's performance in The Frozen Deep and his tryst with actress Ellen Ternan, a transgression which is set in the wider context of the lost Franklin expedition and colonial disaster. The fate of Mathinna, the abandoned orphan, shatters all great expectations in the context of Tasmanian genocide. In these novels, Dickens functions both as a canonical writer and as a transgressor, whose writing raises fundamental questions about humane values, reaffirming the need for persistence even though affiliation remains problematic.
Dickens continue d'occuper une position clef dans l'imaginaire post-colonial, peut-être parce qu'il est perçu comme l'écrivain de la différence et du décalage, plaçant par exemple Pip, le protagoniste de Great Expectations, dans la position du subalterne qui n'accède jamais à la culture dominante à laquelle il aspire. Prisonnier d'un scénario qui lui échappe, Pip invite aux réécritures post-coloniales. Celles-ci opèrent selon deux modalités distinctes, revendiquant la filiation ou au contraire rejetant le modèle canonique. Loin du Jack Maggs de Peter Carey qui déconstruit ironiquement Dickens, les romans de Lloyd Jones et de Richard Flanagan dialoguent avec l'hypotexte pour osciller entre défiance et nostalgie, proposant une relecture de l'humanisme de Dickens et de ses limites dans la violence du génocide ou de la guerre civile. La leçon de lecture prend chez Lloyd Jones des accents à la fois rédempteurs et désespérés, impuissants à endiguer la violence aveugle. Chez Flanagan, la représentation de la pièce The Frozen Deep permet de lier ironiquement désir illicite et réalité coloniale, tandis que le parcours de Mathinna, l'orpheline aborigène abandonnée, réécrit le leurre des vaines espérances. Dickens reste donc la pierre de touche d'une forme d'écriture post-coloniale, réaffirmant la persistance d'une écriture dont les enjeux restent d'actualité, alors même que la relation de Dickens au colonialisme est contestée.
The Havisham Affair or the Afterlife of a Memorable Fixture
Long after they first appeared in fiction, Dickens's characters often seem to have acquired a life of their own. The name of Miss Havisham, the recluse of Satis House, is probably known by many people who may never have read Great Expectations. This article investigates the afterlife of a character whose contemporary reappearances go far beyond the usual stereotypes the mere mention of her name is bound to elicit. It argues that the different discourses held on Miss Havisham by the main characters from Dickens's novel may be used as privileged entries to document the various adaptations of her character today, through poetry, high brow and more popular fiction, and to a lesser extent, through cinema adaptations too. In the last resort, two main directions stand out; the first one responds to the ambivalent feminine identity that her character suggests, especially through her relationship with Estella, and the second appropriates Miss Havisham as a textual signifier, and to conclude as a transtextual adventuress with Jasper Fforde.
Longtemps après leur première apparition dans les romans, les personnages de Dickens semblent avoir acquis une vie en propre. Le nom de Miss Havisham, la recluse de Satis House, est probablement connu de beaucoup de gens qui n'ont peut-être jamais lu Les Grandes espérances. Cet article s'intéresse à la postérité d'un personnage qui dans ses réapparitions contemporaines va bien au-delà des idées reçues que l'on pourrait avoir le concernant. Il démontre que les différents discours que les personnages du roman tiennent sur Miss Havisham dans le roman de Dickens peuvent servir de points de départ pour explorer tout ce qu'il advient d'elle aujourd'hui dans la poésie, le roman plus ou moins grand public et, dans une moindre mesure, le cinéma. Deux directions principales se dégagent pour finir, la première fait un sort à la question de l'ambivalence de l'identité féminine que le personnage porte, principalement à travers sa relation avec Estella, la deuxième met en avant le personnage comme signifiant textuel, ou enfin comme aventurière trans¬textuelle chez Jasper Fforde.
Persistent Marginality: Deviance as a Travelling Aesthetics
Dickensian marginals are famously numerous, and many of them have lived in collective memory for generations. Created within the pale of Victorian decency, Dickens's deviants nonetheless have great imaginary force; such power is precisely what accounts for their eclectic and long-lasting afterlife as characters. There are many successors to Dickens's marginals because these characters will resist one-sided interpretations and definite rationalisation—marginality, with them, is never to be pinned down as a stable motif. The aesthetics of their deviance is already reconfigured within Dickens's novels themselves; and, ever since, it has been repeatedly adopted and adapted. Using three of Dickens's most memorable marginals—Sikes, Fagin, and Miss Havisham—, this article will examine how Dickensian deviance persists but also evolves, moving from one medium to another, and from one century to another.
Les romans de Dickens sont peuplés d'une foule de marginaux parmi lesquels certains ont intégré l'imaginaire collectif depuis des générations. Bien qu'ayant vu le jour sous la contrainte de la décence victorienne, les déviants dickensiens laissent néanmoins dans l'imagination une empreinte profonde. C'est cette force-là qui a permis à ces personnages de subsister si longtemps et de se réincarner en une multitude d'avatars. Les héritiers des marginaux dickensiens sont nombreux, car ces figures ne se laissent déci-dément pas soumettre à une interprétation fermée ni à une explication catégorique — leur marginalité ne peut être réduite à un motif stable. L'esthétique de leur déviance est déjà sujette à des reconfigurations au sein des romans de Dickens ; par la suite, elle a été récupérée et adaptée à de nombreuses reprises. En s'appuyant sur trois des marginaux dickensiens les plus mémorables — Sikes, Fagin et Miss Havisham — cet article explorera comment la déviance dickensienne persiste tout en évoluant, au gré des média et des siècles.
Dickens, and the Persistence of the Letter in the Unconscious: Reading
This paper looks at Lacan's stress on literature, the letter, and the individual letter, as constituting the unconscious and persisting in making its effects felt throughout speech and language. By taking selected examples from Pickwick Papers, David Copperfield and Bleak House, the unsettling and enduring effects of the letter are shown, as both questioning and reinforcing the way that language constructs meaning and signifiance in individual texts.
Cet article étudie l'insistance de Lacan sur la littérature, la lettre, la lettre individuelle qui constitue l'inconscient, et qui persiste à se faire entendre dans le discours et le langage. À l'aide d'exemples choisis empruntés aux Pickwick Papers, à David Copperfield et à Bleak House, on verra les effets déstabilisants et permanents de la lettre, qui remet en question, mais renforce en même temps la façon dont le langage construit le sens de textes particuliers.
Little Dorrit: Dickens's Woman at the Window
This essay is inspired by a 2011 Exhibition in New York, Rooms with a View, focussed upon a crucial image in 19th century painting featuring people, often solitary, usually female, standing at an open window. I try to show that this is also a recurrent motif in Dickens's writing, and that amongst its manifold significances is a clear emphasis on the virtue of persistence. My specific target novel is Little Dorrit, where the image is particularly prominent in view of the novel's setting in various literal and virtual prisons. The heroine is seen regularly stationed at the open window from childhood on, and the patience of this Griselda is rewarded at the novel's end.
L'inspiration de ce texte remonte à une exposition qui s'est tenue à New York en 2011, Rooms with a View, et qui était consacrée à une image clef de la peinture du XIXe siècle, où des personnes, surtout solitaires, surtout féminines, se trouvent debout près d'une fenêtre ouverte. J'essaie de montrer que ce motif est aussi très présent dans l'œuvre de Dickens, et que parmi les différents sens que l'on peut lui donner, il y a manifestement l'idée de la « persistance ». Je ¬m'attache ici surtout à Little Dorrit, où cette image a une importance particulière, du fait que le roman se déroule principalement dans des prisons, réelles ou virtuelles. Dès l'enfance, l'héroïne se trouve constamment devant des fenêtres ouvertes, et la patience de cette Griselda est récompensée à la fin.
The Thames Persistently Revisited: Dickens on the edge of water
For most people in the world, Dickens is famous for his comic and melodramatic qualities, both for Scrooge's transformation from an old miser into a benevolent uncle and for the dark underworld of London's petty thieves and prostitutes. The favourite locus for this underworld is London's river banks, where prostitutes are tempted by a suicidal urge to dive into the river, cadavers are robbed by unscrupulous watermen, convicts drown trying to leave England by catching the steamboat heading for Hamburg. However persistently he resorted to the river as a place and a metaphor, it seems that throughout his career, Dickens did not approach the Thames in the same systematic way. How did London's river evolve in the mind of the "Inimitable," from the pages of Oliver Twist (1837-39) to those of Our Mutual Friend (1864-65) and how did film versions adapt those visions of the night-time river? Finally, how did the constant evolution in Dickens's approach to the Thames change Londoners' perception of their river in the long run? Oliver Twist, David Copperfield, Great Expectations and Our Mutual Friend will be central to this study.
Pour le grand public, Dickens est resté célèbre pour deux aspects fondamentaux de sa production littéraire : la comédie et le mélo-drame. Pour la postérité en effet la transformation d'un vieil avare en un oncle généreux le dispute aux scènes dramatiques sur les quais du fleuve londonien. Là, une prostituée menace de se jeter à l'eau, certains détroussent des cadavres, un héros autoproclamé plonge pour renaître régénéré tandis qu'un autre en profite pour changer d'identité. Quelle que soit la persistance de la Tamise comme lieu et comme métaphore dans ses romans, il semble que Dickens ait peu à peu modifié son point de vue sur le fleuve londonien. Comment ce dernier a-t-il évolué depuis Oliver Twist (1837-39) jusqu'à Our Mutual Friend (1864-65) et comment les versions cinématographiques ont-elles adapté ces visions de la rivière enveloppée de ténèbres ? Quel impact cette évolution dans l'approche dickensienne a-t-elle eu sur la perception de la Tamise depuis la période victorienne ? Oliver Twist, David Copperfield, Great Expectations et Our Mutual Friend seront autant de balises sur notre parcours.
The Strange Persistence of David Copperfield's Inheritance
In David Copperfield, the theme of David's inheritance has received little critical attention, compared with the theme of his development and self-fashioning as a man (the Bildungsroman) and as an artist (the Künstlerroman). Yet this article tries to show that the two are closely linked and that David's Bildung depends largely on the strange persistence of his inheritance. Apparently, after the death of his father, he is left with a dubious inheritance, which is rather a handicap in the struggle for life. After another crisis, the death of his mother and his ordeal in the firm of Murdstone and Grinby's, he turns to his Aunt Betsey, who adopts him and proves to be the provider of his real inheritance. However, even as he is enjoying it, he gradually discovers that his father has left him with an invaluable legacy, the small collection of books which are now lost, but live on and persist in his memory, thus forming the basis of his growth as a novelist. If we take the word inheritance in its Biblical sense, we may read the novel not simply as a Bildungsroman, or a Künstlerroman, but as a novel of conversion. Thus, the notion of inheritance bears within it the persistence of an ideal within legal and familial transmission.
Dans David Copperfield, les critiques se sont moins intéressés au thème de l'héritage de David qu'à celui de sa formation humaine (le Bildungsroman) ou artistique (le Künstlerroman). Cet article s'efforce de montrer que les deux sont étroitement liés et que la formation de David dépend en grande partie de la préservation et de la persistance de son héritage. Apparemment, après la mort de son père, il se retrouve avec un héritage douteux, qui va plutôt le handicaper dans le combat pour la vie. Après une autre crise, la mort de sa mère, qui le condamne à connaître la dure vie des ouvriers chez Murdstone et Grinby, il se tourne vers sa tante Betsey qui, en l'adoptant, va se révéler être son véritable héritage. Mais tandis qu'il en découvre la valeur, il comprend peu à peu que son père lui a légué un véritable trésor, une petite bibliothèque dont les ouvrages, maintenant disparus, continuent de vivre dans sa mémoire et forment le socle sur laquelle se bâtit sa carrière de romancier. Si nous prenons le mot héritage dans son sens biblique, nous pouvons lire le roman non plus tant comme un Bildungsroman, ou un Künstlerroman, que comme un roman de conversion. La notion d'héritage implique la permanence d'un idéal à travers la transmission juridique et familiale.