Ann LECERCLE : Much virtue in the comma; your comma is the only p(e)acemaker: prolegomenon to Measure for Measure
Measure for Measure (1604) is Shakespeare's last comedy: it juxts Othello and precedes—just—King Lear and Macbeth; it is also the comedy which, after the festive and variously flamboyant specimens of the genre, analyzes "desire per se" (Adelman). Such is the resulting analysis that it—seemingly ipso facto—put a stop to Shakespeare's writing comedy per se. At this moment, too, Elizabethan theatre in the round (all the world's a stage. . .) is about to be challenged by Jacobean perspective theatre (. . . under the eye of the governor). All of which places the focus in the play on the—here exemplary—tension in representation between, notably, the Symbolic in its different expressions and the Imaginary (the law as paltry scarecrow, the Puritan as self-serving pimp. . .). The article considers two crucial effects of this juncture: “the Sense of an Ending” (Kermode) and the configuration of measure itself.
Measure for Measure (1604) est la dernière comédie de Shakespeare : à peu près contemporaine d'Othello, elle précède, de peu, King Lear et Macbeth ; écrite après les comédies dites « festives », c'est aussi l'œuvre où le dramaturge se livre à une analyse du désir sexuel « en soi » (Adelman) ; cette analyse est telle qu'elle met fin à la composition de comédies « en soi ». À partir de ce moment, la scène élisabéthaine « en forme de cercle» (le monde entier est un théâtre…) aura pour rivale la scène jacobéenne à l'italienne (le décor en perspective étant conçu idéalement pour l'œil du gouverneur). Par conséquent, la représentation dans Measure for Measure se place d'emblée sous le signe d'une tension exemplaire entre, notamment, le Symbolique, dans ses diverses expressions, et l'Imaginaire (la loi en tant qu'épouvantail, le puritain violeur…). Cet article s'intéresse plus particulièrement à deux aspects primordiaux de ces problématiques: ce que F. Kermode a appelé « le sens d'une fin », et la configuration de la mesure elle-même.
Maxime DURISOTTI : De l'impatience à l'obstination : le « talent » de Wordsworth
En prenant comme point de départ l'angoisse ressentie par le poète devant son incapacité à assumer ses ambitions poétiques, telle qu'il la formule au milieu du Livre I du Prélude, cet article cherche à identifier les causes de ce malaise. Cette attestation de stérilité indique à la fois le caractère impatient du poète et sa soumission à une représentation erronée de la poésie. L'anamnèse qu'il entreprend ensuite lui révèle le sens de sa vocation : recueillir en poésie les émotions de l'enfance afin de révéler la dimension universelle des expériences naturelles et l'évolution morale dont elles sont la source. La vision de la poésie, révélatrice de l'investissement moral, se substitue à une lecture strictement financière de la Parabole des talents, qui voit sa portée spirituelle ainsi soutenue. L'étude finit par évoquer l'abandon de l'enthousiasme trompeur des débuts, exprimé dans « Elegiac Stanzas » et « Ode to Duty », deux poèmes qui amorcent un tournant éthique inédit.
This paper begins with the study of the anguish felt by Wordsworth when he faced his incapability to meet his own poetical ambitions, as he put it in the middle of the first Book of The Prelude. The way he expresses his lack of creativity both shows the poet's juvenile impatience and his submission to an artificial vision of poetry. The anamnesis which occurs in the poem unveils the meaning of his vocation: recollecting the emotions of childhood in order to reveal the universal dimension of man's experience of nature, and the ensuing moral growth. The vision of poetry as a revealing process of moral conscience replaces a strictly financial interpretation of the parable of the talents, whose spiritual meaning isenhanced. The article ends with the evocation of the poet's rejection of his juvenile and delusive enthusiasm, as it is expressed in “Elegiac Stanzas” and “Ode to Duty,” two poems which reveals Wordsworth's new ethic turn.
Élisabeth MARTICHOU : Les Memoirs of Sir Joshua Reynolds de James Northcote ou la constitution d'une figure exemplaire du peintre
James Northcote est passé à la postérité moins comme peintre que comme l'un des premiers biographes de Reynolds. Cet article entend montrer que, dans ses Memoirs of Sir Joshua Reynolds, Northcote s'est inspiré de trois sous-catégories du genre biographique pour conférer à l'artiste une dimension héroïque en tant que fondateur de l'école de peinture anglaise. Pour cela il a repris certains topoï des « vies » d'artistes écrites à la Renaissance, insérant ainsi son sujet dans le courant de l'histoire de l'art. Il a également emprunté les stratégies de la « biographie intime » développées par ses contemporains afin de rendre plus proche la figure héroïque. Enfin, les Memoirs, comme d'autres ouvrages biographiques de la période, entreprennent d'affirmer les progrès de la peinture en Angleterre, un accent particulier étant mis sur le rôle d'un seul homme, Reynolds.
James Northcote has remained in history less as a painter than as one of Reynolds's first biographers. This article intends to show how in the Memoirs of Sir Joshua Reynolds Northcote drew from three distinct biographical subgenres to confer on Reynolds a heroic status as founder of the English school of painting. He revived some topoï used in the first “lives” of artists written in the Renaissance, thus inserting his subject in art history. He also borrowed the strategies of the “intimate biography” developed by his contemporaries to achieve an effect of proximity with the heroic figure. Finally, the Memoirs shared with other biographical works of the period the task of assessing the progress of the art of painting in the country, with a particular emphasis on the role of a single man, Reynolds.
Sara THORNTON: Paris and London superimposed: urban seeing and new political space in Dicken's A Tale of Two Cities
This article will be looking at how space is seen, constructed and made meaningful in A Tale of Two Cities and how this brings out some key questions about Dickens, the two cities he loved and his political position as a writer. Our first focus will be on the technique of seeing or showing from above, that is, seeing panoramically or in terms of a scene performed publicly which the eye can encompass. If we look closer at this super-envisioning and supervision and its correlative desire to grasp new space, it appears to be linked to an act of superimposition, that is, the laying of one topography over another, one history or present of the city space over another. In A Tale of Two Cities Paris and London are strangely mixed and interwoven, we see them stereoscopically that is as a fusion of two images. I would argue that Dickens's visions of London and Paris and the complex overlaying of one on the other show not only a desire to experiment with lines of sight and geographical and ideological positions but is perhaps an attempt to rethink British politics. This shifting of the gaze to encompass another urban reality might be seen to run counter to critiques of A Tale of Two Cities which have seen the latter as a reactionary and chauvinistic stance on the French revolution.
Cet article tente d'établir un lien entre la perception et la construction de l'espace urbain dans A Tale of Two Cities et le positionnement politique d'un texte qui a quelquefois été qualifié de réactionnaire et même francophobe. Le texte de Dickens démontrerait, au contraire, un désir de comprendre l'énergie et la force de la révolution, et de surplomber Paris afin d'observer clairement le fonctionnement d'une ville qui est l'inverse d'un Londres statique et sombre, reflet d'un système archaïque. Si l'œil du narrateur surveille et surplombe Paris, Londres n'offre que des vues partielles, le fond d'une ville labyrinthique sans ligne de fuite. Ce conte fantastique de deux villes opère également une superposition stéréoscopique de Paris et de Londres, résultat du désir d'imaginer un Londres amélioré, libéré, revu et corrigé par l'énergie de l'Europe révolutionnaire, mais aussi par la modernité et l'efficacité du projet haussmannien.
François SPECQ : Henry David Thoreau et l'intraduisible du réel
Loin de se réduire à une contemplation amusée ou à des fantaisies verbales sur le déroulement des saisons, la dernière partie de Walden formule avec vigueur les grandes tensions caractéristiques de notre modernité, où l'aspiration à la connaissance scientifique, le désir d'exploitation économique et la recherche d'un plaisir esthétique ont atteint une intensité sans précédent. Thoreau cherche ici à saisir et à redéfinir le rapport de l'homme au monde au vu du triomphe de la modernité scientifique et économique. Il entendait ainsi engager ses lecteurs à réfléchir aux divers modes de relation de l'homme au monde matériel, afin d'inventer un nouvel équilibre, dans lequel une forme de révérence ou de respect ferait contrepoids au désir de domination. Sa mise en question de nos modes ordinaires de relation au monde invoque et étaye une conception du « sauvage » qui n'est pas strictement topographique (un monde à part) mais intellectuelle — une frontière mentale, au cœur de notre existence, conçue comme la nécessaire et fructueuse interrogation de ce que nous considérons comme proprement humain. Orchestrant son récit de manière à souligner sa mise à distance de deux modes ordinaires de « traduction » du réel (la connaissance scientifique et l'exploitation économique), Thoreau manifeste que son plaidoyer en faveur de la nature sauvage prend appui sur une préoccupation plus large pour le caractère intraduisible du réel.
Far from being mere light-hearted playfulness or idiosyncratic musing over seasonal change, the latter part of Thoreau's Walden most clearly articulates the defining tensions within Western modernity, in which desire for scientific knowledge, economic appropriation, and aesthetic enjoyment have reached an unprecedented level of intensity. Thoreau here strives to comprehend and redefine man's relation to the world in the context of the triumph of scientific and economic “modernity.” He meant to induce his readers to reflect about the terms which characterize our relation to the material world, while also tipping the scales toward a new equilibrium, one in which the human desire for dominion is kept in check by a counterbalancing sense of reverence and wonder. He posed exhaustive challenges to the standard ways we relate to the world, from a perspective that drew on and supported a definition of “the wild” that is not merely topographical (a separate sphere elsewhere), but intellectual—a mental frontier, central to our very existence, relocated as the necessary, nurturing questioning of what we assume is human and defines humanity. Orchestrating his narrative so as to emphasize his distance from two common ways of “translating” the real (scientific knowledge and economic exploitation), Thoreau thus made it clear that his environmental advocacy is grounded in a more encompassing focus on the untranslatability of the real.
Claudine RAYNAUD : The text as riddle and Death's many ways: Ben Okri's The Famished Road
Refuting the term of magic realism, this article explores how “trans-realism,” that Ben Okri defines as accounting for the African aesthetics presiding over the writing of the novel, works throughout The Famished Road. The “I” narrator, the abiku, the spirit child, allows access to different levels of consciousness and different territories; he also helps to think Time as the co-existence of past and future lives. Transformations and metamorphoses are the modalities of a mutable world where death is never what one thinks. Writing is placed under the sign of the love of the mother, less colorful a character than the father, closer to the everyday life. Boundaries are erased, the two worlds (of phenomenal reality and the supernatural) make one, stories are embedded, interspaces are both spaces in-between and access to the otherworld. Reading with Azaro means reading the riddle (of life, of death, of incompletion), the form and the aesthetic model of a text that displays its conception of the unknown in paradoxes and contradictions. The unresolved and the infinite make do with the remainder; silence can be heard among the chaos of celebrations, battles and fights; dream, a modality of writing and being, dares to invent another world.
Récusant le terme de réalisme magique, cet article explore le « trans-réalisme » à l'œuvre dans The Famished Road, défini par Ben Okri comme rendant compte de l'esthétique africaine qui préside à l'écriture. Le « je » narrateur, l'abiku, l'enfant esprit, permet d'accéder à différents niveaux de conscience et différents territoires ainsi que de concevoir une temporalité qui fait coexister vies passées et à venir. Transformations et métamorphoses sont les modalités de ce monde mouvant dans lequel la mort n'est jamais ce que l'on pense. L'écriture est placée sous le signe de l'amour de la mère, personnage moins haut en couleur que le père, plus proche de la réalité de la vie quotidienne. Par ailleurs les frontières s'effacent, les deux mondes (de la réalité phénoménale et du surnaturel) ne font plus qu'un, les histoires s'imbriquent les unes dans les autres, les espaces interstitiels sont à la fois entre-deux et accès à l'autre monde. Lire avec Azaro revient à lire l'énigme (de la vie, de la mort, de l'incomplétude), forme et modèle esthétique d'un texte qui déploie dans le paradoxe et la contradiction sa conception de l'inconnu. L'irrésolu et l'infini se conjuguent avec le reste ; le silence s'entend avec le chaos des fêtes, des batailles et des combats ; le rêve, modalité de l'écriture et de l'être, ose inventer un monde autre.
Mélanie TORRENT : A Commonwealth approach to decolonisation
The Commonwealth is essential for the conceptualisation of decolonisation: nationalism and transnationalism, diplomacy and the use of force, liberation and dependence, can be better understood if Commonwealth dynamics are given their proper place. The Commonwealth has been about the negotiation, redefinition and deconstruction of Britain's global empire. The oldest international organisation, the Commonwealth is not a history of imagined (or at least relative) smooth transfers of powers, punctuated by the odd crisis. Commonwealth history does point to the specificity of British decolonisation but ultimately demonstrates that decolonisation can only be properly understood if the Commonwealth debates that followed the early 1960s and the high tide of independence celebrations are taken into account.
Essentiel à la théorisation de la décolonisation, le Commonwealth éclaire les relations entre nationalismes et transnationalismes, les tensions entre diplomatie et usage de la force et les zones d'ombre entre libération et dépendance. Le Commonwealth est ainsi le résultat de la négociation, redéfinition et déconstruction de l'empire global de la Grande-Bretagne. Si le Commonwealth est la plus ancienne organisation internationale, son histoire ne se résume pas à un imaginaire de transfert de pouvoirs apaisé (au moins relativement), ponctué seulement par des crises occasionnelles. L'histoire du Commonwealth souligne la spécificité de la décolonisation britannique, mais plus encore, elle démontre que la décolonisation ne peut être comprise que si les débats qui ont animé le Commonwealth après la vague d'indépendances au début des années 1960 sont pris en compte.