Hélène Piquet : Questions autour de la résurgence du modèle Ma Xiwu
Résumé — Depuis quelques années, les autorités judiciaires mettent en avant des juges modèles destinés à inspirer le travail des juges chinois contemporains. Ainsi, le juge Ma Xiwu 马锡五, qui exerçait dans le Shan-gan-ning durant les années 1940 et 1950, ressurgit dans la mémoire collective. Il est notamment vanté par les autorités judiciaires pour sa méthode de résolution des affaires (Ma Xiwu shenpan fangshi 马锡五审判方式). Que signifie, pour les juges chinois du xxie siècle, cet appel à un modèle issu d'une autre période ? Comment est perçu le « modèle Ma Xiwu » par les juristes chinois ? Telles sont les questions traitées dans cette étude.
Jean Levi : Les lieux de débats en Chine ancienne : écoles, routes, académies, palais
Résumé — Il est universellement admis que, tandis qu'en Grèce l'éloquence vise avant tout à persuader un auditoire sur la place publique, en Chine elle s'adresse exclusivement à la personne du souverain. C'est cette opposition simpliste que cet article se propose de battre en brèche, en montrant que les débats d'idées en Chine – tout au moins durant la période des Royaumes combattants (ve-iiie siècles avant notre ère) – ne s'adressent pas seulement au Prince mais peuvent mettre aux prises toutes sortes de protagonistes et se dérouler dans de tout autres lieux que les cours princières, comme par exemple le sein des écoles ou la voie publique. Les circonstances, la nature des lieux et des interlocuteurs ne manqueront pas d'avoir une incidence sur les formes de la persuasion.
Béatrice L'Haridon : La controverse dans le Mouzi
Résumé — Le Mouzi est la première « défense et illustration » en Chine du bouddhisme, et à ce titre est souvent étudié et cité comme un témoin crucial de l'introduction de cette religion en Chine, témoin sujet à caution cependant en raison des questions qui demeurent posées à propos de son authenticité. Est proposée ici une première approche des procédés rhétoriques mis en œuvre dans ce texte : sous le feu roulant des questions et objections, Mouzi est amené dans le processus de cette controverse à intégrer au cœur même de son argumentation les Classiques confucéens et le taoïsme philosophique. Il se situe ainsi dans une tradition du débat (bian 辨) explicitement reconnue, se référant notamment aux figures des maîtres confucéens Mengzi et Lu Jia, mais développe dans le même temps une forme de synthèse intellectuelle lui permettant de rendre le bouddhisme acceptable aux yeux de ses contemporains, voire de les y convertir.
Stéphane Feuillas : Évitement et mise en scène du conflit intérieur. Deux approches dans la culture de soi
de la dynastie des Song (960-1279)
Résumé — L'article se propose d'étudier le cas particulier du conflit intérieur dans la culture de soi. Après avoir reconfiguré ce champ de la philosophie morale et défini de manière restrictive le conflit intérieur, il analyse deux approches de cette question sous la dynastie des Song (960-1279). Dans un premier temps, sont passés en revue quelques textes anciens d'obédience confucéenne qui signalent cette possibilité d'échec de la pratique morale. Cependant, dans la lecture qu'en ont faite les penseurs de l'Étude de la Voie (Daoxue 道學), le conflit intérieur n'accède à aucun statut propre et les auteurs néoconfucéens se sont essentiellement attachés à développer des stratégies d'évitement. La seconde partie de cet article étudie, quant à elle, deux textes tardifs de Su Shi 蘇軾 (1037-1101). Revenant sur sa propre conception esthétique et morale de la culture de soi, il envisage nettement la possibilité d'un échec de la méthode et la met en scène, et semble indiquer que le conflit intérieur est une condition nécessaire, presque un passage obligé, à une véritable culture de soi, ouverte, non dogmatique et sans rapport de maîtrise préalable.
Christian Lamouroux : À travers le Miroir. Une controverse politique sous les Song
Résumé – L'article présente le conflit qui opposa à partir de 1069 Li Shizhong 李師中 (1013-1078), alors gouverneur militaire du circuit du Qinfeng 秦鳳 et préfet de Qinzhou 秦州 dans le Gansu actuel, à son subordonné, Wang Shao 王韶 (1030-1081). Dès la première année de son mandat, Wang Anshi 王安石 (1021-1086), le grand conseiller qui dirigea les réformes voulues par Song Shenzong 宋神宗 (r. 1067-1085) entre 1069 et 1076, avait en effet dépêché Wang Shao aux côtés de Li pour qu'il assurât la mise en valeur de nouveaux territoires dans la région du He-Huang 河湟, une expansion territoriale à laquelle Li s'opposa jusqu'à sa mutation en 1071. Cette polémique sur la politique frontalière, que restituent des sources incomplètes et partiales, permet d'aborder les formes que revêtait alors la controverse politique, mais aussi de réfléchir à celles que l'historien Li Tao 李燾 (1114-1183), résolument anti-réformateur, choisit de lui donner un siècle après les événements dans la Version longue de la Suite au Miroir pour l'aide au gouvernement 續資治通鑑長編.
Frédéric Wang : Histoire de la pensée chinoise : quels paradigmes ?
Résumé — L'Histoire de la pensée chinoise (1997) d'Anne Cheng et A History of Chinese Philosophy (trad. Derk Bodde, 1952-1953) de Fung Yu-lan présentent deux méthodes différentes dans le domaine de l'histoire des idées en Chine : l'un aborde la pensée chinoise sous l'angle historique en insistant sur les contextes de son élaboration, l'autre dans une perspective plutôt philosophique qui tend vers une conceptualisation systématique. Ces deux approches continuent à coexister dans la sinologie occidentale. Les récents travaux menés en Chine révèlent de nouveaux paradigmes de recherche sur le sujet au sein d'une même orientation historique et philologique. J'essaie d'en rendre compte à travers la présentation et l'analyse du Zhongguo jingxue sixiangshi 中國經學思想史 (Histoire de la pensée classique chinoise) édité par Jiang Guanghui 姜廣輝 et du Zhongguo sixiangshi 中國思想史 (Histoire de la pensée chinoise) de Ge Zhaoguang 葛兆光.