Prévalence du matériau, parataxe, autonomisation des éléments – le théâtre contemporain rejette le texte au profit de la présentation et de la performance dont il n'est plus que le produit dérivé. La cible ? Aristote et le muthos décrétés par les prophètes du « post-dramatique » origine universelle de tous les maux.
À travers les affrontements historiques de l'archaïque et des successives modernités, il apparaît toutefois qu'il existe depuis la Renaissance des aristotélismes que révèlent gloses et entre-gloses.
La pensée du théâtre et ses réalisations portent la trace de ce bouillonnement pluriséculaire. L'Allemagne, retenue ici comme champ d'observation, éclaire ce qu'il en fut, du théâtre confessionnel jusqu'à Brecht en passant par la fête baroque (Lohenstein), la tragédie bourgeoise (Lessing), les traitements du mythe et de l'histoire par A.W. Schlegel, Kleist et Grabbe. La Poétique n'a cessé de nourrir la réflexion, Aristote apparaissant alors moins comme une norme ou une cible que comme un moyen pour exprimer des conceptions parfois diamétralement opposées. Si Lessing est placé au centre chronologique de ce livre, la confrontation de la théorie et des écritures dramatiques et scéniques révèle, dans l'éloignement du texte-source opéré par le romantisme, une fécondité paradoxale, visible jusque dans sa négation la plus radicale.
Jean-Marie Valentin (Sorbonne/IUF), membre de la "Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung", est spécialiste de la poétique du théâtre allemand depuis le XVIe siècle. Aux Éditions Klincksieck il a donné en 2010 une traduction commentée de la Dramaturgie de Hambourg de G.E. Lessing et co-dirigé en 2012 Bertolt Brecht et la théorie dramatique.