Vincent Goossaert : L'histoire moderne du taoïsme. État des lieux et perspectives
Cet essai historiographique vise à rendre compte des nombreux travaux sur l'histoire du taoïsme depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours, qui sont récemment parus dans le monde chinois comme en Occident et au Japon. Les études taoïstes accordent traditionnellement une place prépondérante d'une part à l'anthropologie, et d'autre part aux études d'histoire ancienne, basées sur les textes canoniques. Cependant, de nombreux chercheurs placent désormais au cœur de leurs problématiques les transformations des institutions, des pratiques et des idées taoïstes dans le contexte des processus de modernisation sociale et politique, et font usage à cette fin de nouvelles sources désormais accessibles. L'essai évoque les paradigmes dominants en ce qui concerne les rapports entre taoïsme et modernisation (déclin et renouveau, sécularisation) et présente les approches les plus utilisées (histoire institutionnelle, sociale, locale et transnationale). Il propose ensuite de nouvelles directions de recherche : un catalogue général des textes taoïstes post-canoniques, une histoire de la destruction des temples et d'autres institutions et une cartographie taoïste.
Chrystelle Maréchal : Trois mille ans de simplification des caractères chinois – du processus spontané aux mesures normatives
La longue histoire de l'écriture chinoise a été marquée par une grande variabilité des graphies oscillant entre complexification et simplification, cette dernière tendance étant la plus notable. L'article retrace, exemples à l'appui, l'évolution du courant simplificateur de l'époque des Shang à nos jours et la façon dont certaines formes simplifiées se sont finalement imposées. Dans ce contexte, la liste définitive de plus de 2200 caractères simplifiés introduite en 1964 en République populaire de Chine apparaît comme la confirmation officielle d'une tendance historique présente dès les origines du système d'écriture chinois.
Françoise Bottéro : Les graphies énigmatiques de l'impératrice Wǔ Zétiān 武則天
Bien qu'elles notent des mots, les graphies introduites par l'impératrice Wǔ Zétiān à la fin du VIIe siècle font intervenir plusieurs modes de création graphique qui donnent l'impression qu'elles ne sont pas là pour remplacer des caractères d'usage courant. Leur structure graphique est en général utilisée pour accéder aux significations subtiles et connotations cosmologiques auxquelles elles sont censées renvoyer au-delà de la langue. L'exemple des caractères de Wǔ Zétiān permet de montrer que si les caractères chinois semblent se libérer de la langue pour transcrire de « pures » idées ou des vérités cachées, c'est parce qu'ils oscillent entre deux approches sémiotiques différentes. La nature de l'écriture chinoise, qui offre une notation syllabique (morphémique) à partir de constituants sémantiques, favorise cette double approche.
Rainier Lanselle : Écriture du message amoureux. À partir de l'Éventail aux fleurs de pêchers de Kong Shangren
Le célèbre chuanqi de Kong Shangren 孔尚任 (1648-1718), le Taohua shan 桃花扇 (L'Éventail aux fleurs de pêcher), est tout entier construit autour de la circulation d'un message. Celui-ci est très particulier, puisqu'il n'est pas à proprement parler écrit comme un texte, même s'il relève d'un certain tracé : il est constitué par un éventail accidentellement éclaboussé de sang, bientôt paré de couches nombreuses de significations, et destiné à devenir objet d'identification, symbole de reconnaissance, support où s'entrecroisent les signifiants subjectifs les plus divers. Voyageant entre envoyeur et récipiendaire, il est destiné à communiquer quelque chose. Mais son contenu, qui se dévoile largement comme un rébus, garde une part d'énigme qui est consistante avec la limite assignée à tout sujet de savoir ce qu'il dit vraiment, quand il s'adresse à l'Autre. Ce message n'est entièrement lisible pour personne, ni pour celui qui l'écrit, ni pour celui qui le déchiffre, et c'est à la situation amoureuse de révéler mieux qu'aucune autre ce qu'il en est d'un fond d'incommunicabilité qui, comme a pu le mettre en évidence la psychanalyse, est structurel à tout langage.
Miao Lin-Zucker : Une perspective didactique sur les typologies sinographiques
Parmi les capacités cognitives, le geste classificatoire est primordial. Il sert à mieux appréhender la connaissance, afin d'en faciliter la mise en mémoire et de faciliter à terme l'identification ultérieure de nouvelles connaissances. Face aux sinogrammes à mémoriser, l'apprenant de chinois a besoin également de ce geste classificatoire, afin de les penser et les classer en vue de les acquérir. Or, les typologies sinographiques existantes, qu'elles soient orthodoxes ou modernes, manquent souvent de cohérence et ne sont donc pas bien adaptées à l'apprentissage et à l'enseignement. Nous abordons ici la problématique de la définition d'une typologie sinographique adaptée pour la didactique en langue étrangère sous l'angle de la théorie constructiviste de l'acquisition de la connaissance. Une telle typologie se doit de revêtir un caractère à la fois évolutif et adaptable, afin de répondre au fait que la perception sinographique de la part de l'apprenant évolue au fur et à mesure de l'apprentissage et dépend aussi du profil pédagogique de chacun. En prenant appui sur ce cadre théorique constructiviste, cette étude propose une déclinaison des typologies sinographiques dans une perspective didactique. L'esprit central de cette typologie est de se placer du point de vue de l'apprenant, en particulier quant aux inférences qu'il peut faire sur le rôle des composants de chaque caractère tout en gardant la grammatologie comme cadre de référence absolu.