Les successeurs d'Aby Warburg (1866-1929), l'éminent fondateur de l'Institut qui porte son nom, envisagèrent pendant des décennies de publier les très nombreux documents laissés par celui-ci à sa mort ; sans succès, tant ce projet était ambitieux et en partie irréalisable. L'historien de l'art E. H. Gombrich, sollicité pour mettre ces documents en ordre, prit le parti de les trier afin de faire ressortir la trajectoire intellectuelle d'Aby Warburg.
C'est le sujet de cette biographie singulière, fruit de nombreuses années de décryptage et de sélection, où ne sont cités que des fragments pertinents des archives de Warburg à l'appui du récit rigoureux et lumineux de Gombrich.
Warburg publia peu de son vivant, mais il eut une influence décisive sur des historiens de l'art aussi différents qu'Erwin Panofsky et Kenneth Clark. La particularité des recherches d'Aby Warburg fait écho au parti pris de son biographe, féru de méthodologie : Warburg remettait en effet en cause une certaine théorie de l'histoire de l'art qui s'efforce de définir des « styles » et de les faire entrer dans des catégories, pour mettre l'accent sur des artistes singuliers, engagés dans des conflits subjectifs qui les amenaient à faire des choix personnels. D'après lui, l'artiste crée plus souvent en réaction à l'« esprit de son époque » qu'il ne la représente.
Connu surtout pour ses travaux iconographiques sur la Renaissance – dont une thèse sur Botticelli qui servit de point de départ à sa méthodologie –, Warburg tenta de faire entrer en résonance les découvertes en psychologie et en anthropologie avec l'histoire de l'art, tout en considérant avec effroi et curiosité le progrès de la technologie moderne. Ce portrait d'une figure-clef de l'histoire de l'art nous fait aussi découvrir un psychologue de la culture qui s'interroge sur le destin de la civilisation occidentale alors même que celle-ci est sur le point de s'engager dans la phase la plus dramatique de son histoire.