Penseur libre et croyant intransigeant, Tommaso Campanella (1568-1639) passa presque la moitié de sa vie dans les prisons du roi d'Espagne et des papes. Souvent, on ne retient de lui qu'une brève utopie, la Cité du soleil. Son oeuvre va bien au-delà. Depuis son cachot napolitain, Campanella s'efforça de penser un monde que Colomb, Luther et Machiavel obligeaient à voir sous un jour nouveau. Témoin de la première mondialisation moderne, il chercha à fonder l'humanité à venir sur un nouvel équilibre des territoires. L'Europe, la Chrétienté et l'Empire hispanique, mis à l'épreuve des rivalités politiques et de l'expansion coloniale, s'y inscrivaient dans un projet nouveau, visant à réunir les lieux habités.
Loin d'être une irréalité, son utopie est une géosophie, voyage de l'esprit et savoir du monde dans un présent à inventer, où se déploie la volonté libre des hommes et de chaque homme. Refusant de se limiter aux modèles politiques hérités de l'Antiquité ou de se résigner au jeu des équilibres armés, Campanella propose à ses contemporains d'écrire une histoire globale qui ne soit pas celle de la tyrannie, condamnée à étendre sa domination en Europe, ou de la colonisation, qu'il voit alors transformer le monde par la conquête.
Son interrogation s'adresse aussi aux lecteurs d'aujourd'hui : comment imaginer un monde cohérent qui laisse place à la diversité des territoires des hommes ?
Jean-Louis Fournel est professeur à l'université Paris-8 Vincennes/Saint-Denis et à l'UMR Triangle. Il a publié de nombreux travaux sur l'histoire de la pensée politique italienne de l'Ancien Régime et édité plusieurs traductions françaises commentées de Machiavel, Guichardin, et Savonarole.