Du Familistère de Guise aux call centers contemporains, des utopistes aux gestionnaires du management, un ensemble d'historiens et de sociologues montre comment les entreprises et le monde du travail ont pensé et expérimenté la remise en cause ou la réinvention des frontières entre vie privée et vie professionnelle, entre sphère domestique et sphère économique, entre espace intime et espace public.
Que l'on considère l'adoption du Pacs ou encore l'interdiction de fumer dans les lieux publics, nombreuses sont les illustrations indiquant que la vie privée est devenue plus que jamais une affaire politique. Le corps, la sexualité, le couple, la famille, etc. donnent lieu désormais à une réglementation foisonnante. Cette emprise croissante porte un nom outre-Atlantique : le soft paternalism. Ce mouvement repousse des frontières instituées depuis des décennies, qui ont consacré une partition privé/public sur laquelle s'est érigée la société industrielle. Avec pour terrain d'enquête privilégié le monde de l'entreprise, cet ouvrage analyse le sens et la portée des nouvelles politiques de l'intime qui bousculent les articulations entre le travail et le hors-travail, transforment la subjectivité en dispositifs de gestion, métamorphosent les sentiments en objets de transaction... Les secrets, les affects, le for intérieur ne sont plus, comme hier, des enjeux exclusivement personnels. Ils ont aussi statut d'affaires publiques.
Après une mise en perspective historique, qui présente des expérimentations sociales menées depuis le XIXe siècle jusqu'aux années 1960, l'ouvrage plonge le lecteur dans la réalité des nouvelles pratiques d'entreprise au sein desquels l'attention au hors- travail est devenue un nouvel enjeu gestionnaire. Il explore ensuite la question de l'intimité dans notre modernité, pour révéler à quel point la subjectivité et les sentiments participent à la régulation économique et politique de nos sociétés. Au total, l'ouvrage met en évidence l'existence, à l'heure actuelle, de trois stratégies politiques de l'intime : la privatisation de l'espace public, la négation subversive des frontières, et l'imbrication de registres d'action qui viennent s'ajouter à la colonisation, si caractéristique de notre modernité, de la sphère privée.